John Edgard Hoover, le patron du FBI que personne n’a jamais osé virer

 

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C’est une première depuis la mise à pied par Richard Nixon de procureur indépendant chargé de l’enquête sur le Watergate, en octobre 73. En limogeant James Comey, le directeur du FBI, Donald Trump a pris une décision que beaucoup voient comme un abus de pouvoir, en pleine enquête sur les liens entre la Russie et son entourage. Resté à peine quatre ans en poste, James Comey peut regretter le temps où virer l’un de ses prédécesseurs, le redouté John Edgard Hoover, ne serait venu à l’idée de personne. Retour sur le plus emblématique – et le plus haï – des patrons du FBI.

Cinq décennies de pouvoir

John Edgard Hoover a pris la tête de la police fédérale et du renseignement intérieur américain à 29 ans, en pleine Prohibition. Il ne l’a quitté qu’en 1972, l’année où Ray Tomlinson envoyait le premier e-mail de l’histoire…

Si sa disparition fut officiellement très regrettée, on gage pourtant qu’elle soulagea pas mal de monde, tant le patron de la police fédérale et de la principale agence de renseignement intérieur des Etats-Unis avait fait en 48 ans de « son » FBI un redoutable outil à collecter des informations compromettantes sur à peu près tout le monde. Au point qu’en 50 ans, de Coolidge à Nixon en passant par Roosevelt ou Kennedy, aucun président n’osa jamais débarquer l’un des hommes les plus redoutés de l’histoire des Etats-Unis.

L'âme du FBI

Que le siège du FBI, à Washington porte le nom de son ancien directeur n’a rien d’étonnant : Hoover a littéralement façonné l’agence à sa façon pour en faire une machine redoutablement efficace – le plus souvent.

Dès ses débuts, Hoover s’est lancé dans ce qui reste comme combat de son existence, la lutte contre le communisme. Dès la première Peur Rouge, après la première guerre, c’est lui qui se charge d’organiser les grandes rafles lancées contre les militants des milieux anarchistes et d’extrême-gauche, en 1919-1920. Repéré, il est nommé en 1924 à la tête d’une agence gouvernementale alors vieille d’à peine vingt ans, le Bureau of Investigation.

En quelques années, le jeune homme démontre des qualités d’organisation hors du commun. Au prix d’une purge relativement brutale, il professionnalise le Bureau et met en place des conditions drastiques de sélection pour les fameux agents spéciaux (Fox Mulder, Clarice Starling, Dana Scully et Dale Cooper, si vous nous lisez…), triés sur le volet et formés dans une académie ad hoc à toutes les ficelles de leur métier. Si tous ses agents (les G-Men, pour government’s men) sont alors exclusivement des hommes blancs, l’image de l’enquêteur tiré à quatre épingles, sportif et surdiplômé s’installe dès cette époque. Recrutés pour leur intégrité, les hommes de Hoover lui sont aussi d’une fidélité à toute épreuve.

Lorsque le BOI devient le Federal Bureau of Investigation en 1934, Hoover la dote du plus colossal fichier d’empreintes digitales du monde et obtient les financements nécessaires pour fonder un laboratoire médico-légal de pointe, sans équivalent au monde. Année après année, il en fait une machine performante dans la lutte contre les crimes fédéraux comme en matière de renseignement intérieur. Au gré des succès des G-Men, la figure quasi-légendaire de l’agent spécial s’installe dans la pop-culture américaine, bien aidée par un Hoover qui use de toute son influence pour qu’Hollywood présente ses agents sous un jour favorable.

Luttes sélectives

Après avoir échoué à récupérer le contre-espionnage pendant la Seconde guerre mondiale, Hoover concentre ses moyens autour de la lutte contre le communisme, à une époque où les Etats-Unis voient la main de Moscou dans la moindre revendication syndicale. C’est la seconde Peur Rouge : maccarthysme, chasse aux sorcières… Hoover justifie toutes ses initiatives par l’existence supposée d’un vaste réseau d’espionnage soviétique, tentaculaire et surpuissant. Pendant toute la guerre froide, le FBI se lance dans une série d’opérations qui frise la paranoïa. Pour être juste, l’autre côté de l’échiquier politique n’est pas particulièrement épargné et Hoover lance notamment une série d’investigations contre le Ku Klux Klan.

Dans les années 60, c’est au tour des militants antiségrégationnistes d’être soumis à une surveillance qui frôle la persécution. Des Black Panthers à Martin Luther King, les enquêtes se multiplient tandis que Hoover fait preuve dans le même temps d’une indifférence incompréhensible pour la Mafia. Pendant que les agents se concentrent sur la lutte contre le communisme et les militants des droits civiques, les grandes familles mafieuses prospèrent dans tout le pays, en totale impunité ou à peu près. Petit à petit, les critiques se multiplient et beaucoup reprochent plus ou moins ouvertement à Hoover de mal affecter ses ressources. Mais si le FBI réoriente un temps ses efforts en direction de la Mafia sous l’administration Kennedy, la mort de J.F.K met fin à ce bref épisode ; Hoover retourne à ses obsessions.

Mieux, il s’accroche à son siège et personne n’ose le déboulonner, d’autant que sa popularité reste intacte auprès d’une large part de la population. C’est une crise cardiaque, en 1972, qui met fin brutalement à son hégémonie. Nixon, qui ne pouvait pourtant guère le supporter, organise des funérailles nationales suivies par 20.000 personnes.

Méthodes controversées

Si l’efficacité a souvent été au rendez-vous, les méthodes de Hoover posent problème – c’est le moins qu’on puisse dire. Féru de technique, Hoover n’a jamais hésiter à mettre sur écoute les cibles qui l’intéressaient : criminels ou militants « rouges », mais aussi acteurs, artistes, journalistes, personnalités politiques et jusqu’à ses propres agents…

Le tout est parfaitement illégal, mais Hoover a accumulé suffisamment de dossiers sur tout le monde pour que personne ne se risque à se lancer dans une croisade contre lui. Il faut dire que le patron du FBI a de quoi faire exploser un paquet de carrières, à force de collectionner les informations les plus compromettantes.

Avec une prédilection pour les affaires de mœurs : des infidélités de Martin Luther King ou de John Kennedy à l’homosexualité soigneusement dissimulée de nombre d’acteurs ou d’élus en passant par la vie sexuelle de Maryline Monroe ou de Frank Sinatra, Hoover était assis sur une masse ahurissante de données que les personnalités concernées redoutaient par-dessus tout de voir fuiter. Présidents compris, d’où leur réticence à limoger un personnage dont on pensait à tort ou à raison qu’il avait de quoi faire sauter dix fois la Maison-Blanche, tous présidents confondus.

Difficile de distinguer le vrai du faux dans tout ça, mais une chose est sûre : après la mort de Hoover, sa secrétaire Helen Gandy a fait disparaître une quantité impressionnante de dossiers archivés au domicile personnel de Hoover, affirmant devant plusieurs commissions d’enquête qu’il s’agissait de « papiers personnels ».

Personne ne sait ce qu’ils contenaient, mais après sa mort, les Etats-Unis ont limité à dix ans la durée maximale du mandat de directeur du FBI. Histoire d’éviter qu’un seul homme ne veille plus si longtemps sur tant de secrets.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu