Les taxis : 378 ans d’histoires et d’engueulades

Polémiques, interdictions préfectorales, procédures judiciaires, législateur dépassé… L’ambiance est franchement tendue entre les taxis traditionnels et leurs concurrents modernes, au point qu’on redoute le jour où les opérations coups de poings prendront un sens plus littéral. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le transport de particuliers fait monter la température. Retour sur la longue histoire d’une profession éternellement bouleversée.

Une profession encadrée depuis 1637

Après les chaises à porteurs et les « vinaigrettes » (des chaises à roulettes tirée à la force des bras), les voitures à traction animale – des chevaux, le plus souvent – se multiplient au tournant du 17e siècle. Suffisamment pour que Louis XIV se décide à encadrer une pratique légèrement bordélique qui n’arrange pas les fameux « embarras de Paris ». D’où la naissance en 1637 des fiacres : des voitures fermées, menées par un cocher qui répond aux appels des voyageurs qui le hèlent au passage ou le réservent aux stations qu’on aménage petit à petit. Vingt ans plus tard, le Roi Soleil encadre encore la profession, étend le principe à tout le pays et limite leur nombre : 600 fiacres se disputent le marché parisien. Avec déjà quelques principes toujours valables pour les taxis actuels : chaque voiture est identifiée par une plaque d’identité et leurs chauffeurs sont garants de son bon état général. Ils ne peuvent refuser une course dans un rayon de cinq lieues autour de Paris et la profession n’est pas accessible aux anciens condamnés. Dès 1666, les tarifs sont fixés par l’État : les compteurs n’existant pas encore, la facturation est établie au seul temps passé, à l’heure ou à la demi-journée.

Trop de fiacres tuent le fiacre

En 1779, Paris compte 1 800 fiacres pour 600 000 habitants. Leur réputation est désastreuse : le matériel est vieux, les accidents se multiplient, la malpropreté et la grossièreté des cochers devient légendaire. En réaction, Louis XVI confie à un certain Nicolas Perreau le soin d’organiser ce merdier, au travers d’une concession de service public – la notion figure clairement dans les lettres royales. Une délégation de service public, en gros, qui aboutit à une réduction drastique du nombre de fiacres, divisé par deux en quelques années.

La Révolution révolutionne sans révolutionner

Pauvre Perreau : en 1790, libéralisation totale – officiellement du moins, n’importe qui peut conduire et faire conduire des voyageurs. Évidemment, le nombre d’exploitants explose littéralement, chacun se mêle de transporter des voyageurs et le marché est en ébullition, entre petits indépendants et grandes compagnies. Rapidement, l’État s’emploie à contrôler le marché en multipliant les règlements, des tarifs à l'uniforme des cochers, histoire de limiter indirectement le nombre de nouveaux entrants. Et délèguent aux maires et aux préfets le soin d’autoriser de nouveaux fiacres sur leurs territoires.

Napoléon III a plein de problèmes

Dans la première moitié du 19e, le problème des fiacres se confond avec celui de la croissance d’une population dont les besoins augmentent. En 1820, Paris compte 750 000 habitants et 2000 voitures : 40 ans plus tard, le chiffre a doublé, la ville s’est agrandie et la longueur des courses avec elles. Face au bordel général, Napoléon III crée la Compagnie impériale des voitures de Paris, une société privée chargée d’un service public qui obtient le monopole des fiacres parisiens et développe même un service de diligences. L’initiative ne résout rien : les cochers sont chauds bouillants, d’autant que les travaux du baron Haussmann dans Paris mettent un cirque pas possible en compliquant les trajets. Napoléon III n’a pas d’autres solutions que de revenir en 1866 à la libre concurrence, en acceptant au passage d’accorder une sérieuse révision des tarifs, 30 % tout de même.

Mort des fiacres, naissance des taxis

Uber n’est jamais que la version contemporaine d’une suite d’innovations qui ont bouleversé la profession de cocher à la fin du 19e, progrès techniques obligent. Si le fiacre électrique, apparu en 1897, est un échec commercial et disparaît en 1902, ses performances techniques (20 km/h de moyenne pour 3 passagers) avaient de quoi sérieusement inquiéter les cochers. Elles annoncent LE progrès qui va tuer la voiture à cheval : l’automobile. En 1899, les premiers conducteurs (les « automédons ») apparaissent dans la capitale ; comme Uber aujourd’hui, ils échappent aux règlements qui s’appliquent au cocher et peuvent notamment négocier le prix de la course directement avec leurs clients. Les cochers crient au scandale, mais l’histoire joue contre eux : la voiture tue doucement le cheval…

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Le plan d'un "électrofiacre"

Les taxis de la Marne et les Russes blancs

Évidemment, l’État n’attend pas longtemps avant d’encadrer l’activité des véhicules à moteur, en imposant notamment une tarification précise, calculée par un appareil qui prend en compte le temps écoulé et la distance parcourue : le taximètre, qui s’abrège vite en taxi…  Sur le plan symbolique, les taxis vont gagner leurs galons au début de la grande guerre. Réquisitionnés par le général Galliéni pour acheminer des combattants au nord d’un Paris menacé par l’avancée allemande, 600 taxis parisiens transportent 6000 Poilus vers la Marne. Stratégiquement, l’opération n’est pas majeure. Symboliquement, elle fait définitivement entrer les taxis dans l’imagerie populaire. La Révolution russe de 1917, elle, a une conséquence inattendue : l’arrivée de réfugiés russes « blancs » (favorables au Tsar) dont certains deviennent chauffeurs de taxi. Assez pour que l’image de l’ancien aristocrate ruiné passé au commande d’une voiture parisienne devienne un cliché récurrent dans la mémoire collective.

Crise de 29 et guerre de 39-45

La crise économique et la seconde Guerre mondiale font du mal à la profession, qui voit ses effectifs jouer au yoyo pendant 20 ans : alors qu'ils sont 25 000 en 1931, ils ne sont plus que 3000 en 1934, puis 13 000 en 1936... En  1938 apparaît un service de police spécialisée sur le contrôle des taxis, vite surnommée les bourres ou boers par les chauffeurs. Rationnement du carburant oblige, la guerre de 39-45 marque le temps de la débrouille et le retour des voitures au gaz, des vélos-taxis, des calèches ou du transport en… charrettes à bras. Le baroud d’honneur des derniers cochers en somme…

Depuis 45…

Difficile de trouver profession plus réactive aux évolutions légales successives que les taxis  - et on les comprend en un sens : La seule chose qu’on ne leur aura pas imposée, c’est une couleur obligatoire, équivalente au jaune des taxis new-yorkais… Sur le reste, la liste des évolutions réglementaires qui encadre leur activité étant d’une longueur et d’une aridité parfaitement insupportable, on se bornera à rappeler que le fameux signal lumineux installé sur le toit date de 1953, comme le code couleur qui signale que la voiture est libre ou occupée.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu