La véritable histoire de Jack L’Eventreur (suite)

Rappel des épisodes précédents : ce weekend, un journal anglais annonçait que l’identité réelle de Jack l’Eventreur était enfin connue, suite aux recherches d’un entrepreneur anglais, Russell Edwards. L’homme affirme que Jack était un certain Aaron Kosminski, brièvement suspecté à l’époque des meurtres. Un nom de plus sur la longue liste des suspects présentés comme LE Jack l’Eventreur par des enquêteurs plus ou moins amateurs et plus ou moins farfelus…Après avoir retracé les cinq meurtres de Jack, retour sur quelques suspects emblématiques - et démontage en règle de la dernière thèse en date.

Michael Ostrog

Pourquoi on l’a suspecté

Michael Ostrog était un des suspects préférés des enquêteurs de l’époque. Escroc professionnel et criminel d'origine russe, Ostrog prétendait avoir été chirurgien dans la marine russe – une mauvaise vantardise, compte tenu des indéniables compétences anatomiques de l’Eventreur.

Le hic ?

Il n’était… pas en Angleterre au moment des faits. Et pour cause, Ostrog purgeait une peine de prison en France, à l’été 1888, pour des broutilles.

George Chapman

Pourquoi on l’a suspecté

George Chapman, un immigré polonais, est arrivé à Londres peu avant le début des meurtres et s’est retrouvé dans le collimateur des enquêteurs pour avoir été aperçu sur plusieurs lieux de crimes. Il travaillait au moment des meurtres comme barbier dans le quartier de Whitechapel mais il a surtout bel et bien trucidé ses trois épouses successives, avant d’être pendu en 1903.

Le hic

Chapman était un délicat qui a empoisonné ses trois épouses, pas un dingue sanguinaire prêt à jouer du couteau comme Paganini du violon. Il est assez improbable de voir un assassin changer de méthode aussi radicalement

Lewis Carroll

Pourquoi on l’a suspecté

Parfaitement, Lewis Carroll – oui, l’auteur d’Alice au Pays des Merveilles s’est retrouvé dans le collimateur. L’idée vient d’un ouvrage signé d’un certain Wallace, qui affirme avoir repéré dans les romans de Lewis Carroll une série d’indices – des anagrammes, en réalité, qui seraient autant de détails précis sur les meurtres, des détails que seul l’assassin pourrait connaître.

Le hic ?

La méthode utilisée par Wallace pour repérer des anagrammes peut s’appliquer à strictement n’importe quel texte écrit en anglais. Une chercheuse s’est amusée à découvrir des « indices » identiques dans Winnie l’Ourson…

Le prince Albert Victor Christian Edward (et le Dr. Gull)

Pourquoi on l’a suspecté

Pas n’importe qui, ce prince Albert-Victor-Etc. Le petit-fils de la reine Victoria et l’héritier du Trône, tout simplement… C’est LE suspect le plus fantasmatique, sur fond de royal complot et de mystère. Au moment des meurtres de l'Eventreur, personne n’a cependant évoqué la culpabilité du prince. L’idée est née en 1970 sous la plume de chercheurs qui affirmaient avoir consulté les notes personnelles du Dr. Gull, le chirurgien de la reine. Les auteurs affirment que le prince serait devenu fou en raison d’une syphilis contractée en Inde et aurait tué au cours d’une crise de démence meurtrière. Le Dr. Gull aurait alors assassiné personnellement d’autres jeunes femmes pour détourner l’attention du public sur un tueur en série, puis convaincu la reine de faire enfermer le Prince.

Une autre version de l’histoire veut qu’en tuant Mary Kelly et ses amies, le Dr. Gull aurait voulu sauver la famille royale d’un scandale que les jeunes femmes s’apprêtaient à faire éclater : le prince Albert Victor se serait marié en secret avec une prostituée catholique irlandaise qui lui aurait donné un enfant. Prostituée, catholique et irlandaise ? Trois raisons de faire trembler la couronne britannique et une souveraine soumise au chantage.

Le hic

Outre le fait que personne n’est en mesure de dire où sont cachées ces fameuses notes personnelles du Dr. Gull, les bulletins officiels de Windsor sont formels : le prince était en Ecosse au moment de l'affaire.

Walter Sickert

Pourquoi on l’a suspecté

C’est la faute de  la romancière Patricia Cornwell qui affirme que ce peintre impressionniste célèbre était Jack dans le livre « Jack l'Eventreur : affaire classée ». Et un fait rapporté est bel et et bien établi : pendant l’été 1888, Sickert s’est « amusé » à envoyer des lettres à la police en imitant l’écriture de Jack, (la fameuse lettre « From Hell » reproduite dans les journaux) et en se faisant passer pour l’Eventreur. Oh, et son œuvre ne fait pas précisément dans la grande gaité, plutôt dans le morbide.

Le hic 

Aucune preuve formelle de la culpabilité de Sickert n’est apportée par Patricia Cornwell qui se croit au passage dans un épisode d’Esprits Criminels et multiplie les aperçus psychologiques parfaitement spéculatifs, sur un suspect mort depuis des lustres.

H. H. Holmes (mon préféré)

Pourquoi on l’a suspecté

Parce que Herman. H. Homes est un authentique fou homicide, plus cinglé que tout un asile de sociopathes sous acide. Pharmacien américain et faux médecin, il reste comme le premier tueur de masse des Etats-Unis : pendant des années, l’homme transforma scientifiquement son hôtel de Chicago en usine à tuer, à coups de trappes, de chambres piégées et de bacs d’acide cachés dans les caves – tout ceci est vrai et le bonhomme a 27 meurtres confirmés à son actif – probablement des centaines en réalité.

C’est son arrière-petit-fils qui prétendra en 2011 que son sinistre aïeul était AUSSI Jack l’Eventreur, sur la foi de lettres écrites depuis sa prison et dont la graphologie – c’est vrai – ressemble énormément à celle des lettres de Jack. Si on y ajoute que ce bon M. Holmes avait un goût prononcé pour la dissection de jeunes femmes…

Le hic

Fou dangereux, Holmes était aussi un menteur pathologique et habitait aux Etats-Unis depuis 1887, soit un an avant les crimes, à une époque où on ne voyageait pas si facilement de l’Amérique à l’Angleterre. Par ailleurs, l’écriture du Ripper n’a rien d’original pour l’époque où ce style penché et lié est fréquent.

henri holmes

Pourquoi la dernière thèse en date est totalement foir... Un peu fragile

Et farfelu, le dernier « détective » en date ne l’est pas qu’à moitié. A l’appui de sa thèse, Russel Edwards a convoqué l’ADN et a fait étudier par un expert des traces d’ADN trouvées le châle de Catherine Eddowes (alias Kate Conway) et celui d'une descendante de la sœur d'Aaron Kosminski. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la thèse reste fragile pour une série de raisons dont la moindre n’est pas le fait curieusement, M. Edwards a un ouvrage à vendre : « Naming Jack the Ripper » (Donner un nom à Jack l’Eventreur) sort dans quelques semaines et un coup de pub ne fait jamais de mal.

Surtout, pas un jury ne condamnerait Kominski sur la base de ces fameuses analyses ADN, pour au moins deux raisons :

  • Personne ne sait d’où sort ce châle censé avoir appartenu à la 4e victime de Jack, et retrouvé par miracle en 2007 dans une vente aux enchères, sans qu’aucune preuve ne permette d’en confirmer l’origine. Il ne figure même pas dans la liste des effets placés sous scellés par les policiers en 1888 ! Edwards explique l’histoire par une sombre affaire de vol dans les locaux de la police : un policier aurait piqué le châle maculé de sang et de sperme d’une prostituée assassinée avec une violence infinie pour… l’offrir à sa femme ?
  • Renseignements pris, l’ADN retrouvé sur le châle ne permet certainement pas d’identifier qui que ce soit, tout au plus de réduire la liste des suspects : il s’agit d’un ADN mitochondrial partagé par environ… 40% d'une population. Vous repasserez pour la preuve parfaite.

Bref : Edwards n’a rien prouvé du tout et le nom de Kosminski n’est qu’une encoche de plus sur une longue liste de thèses improuvables. Pour un moment encore, Jack reste cet inconnu vêtu de noir qui s'éloigne dans les brouillards de Whitechapel.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu