Pourquoi Victor Hugo aurait été le premier d’accord avec les lycéens

 

Bon, le moins qu’on puisse dire, c’est que le poème de Victor Hugo soumis à la sagacité des élèves de Première qui passaient l’épreuve écrite de français n’a pas totalement séduit les candidats des séries S et ES, comme en témoignent les tweets amusés ou rageurs relevés par Marie-Adélaïde Scigacz. Et après tout, il n’est pas dit qu’à leur place, le grand homme aurait réagi de façon foncièrement différente...

Un gamin ambitieux

Un père militaire et absent, un ménage malheureux, un gosse et ses frères déracinés au rythme des déménagements : Victor Hugo n’a pas eu l’enfance toujours facile. De quoi expliquer qu’il ait passé son enfance le nez plongé dans les livres. Latiniste distingué à 10 ans, conscient très jeune de son don pour l’écriture – et les mathématiques, d’ailleurs - Hugo est très, très doué, et très, très ambitieux, sinon arrogant. A 14 ans à peine, il écrit dans son journal « je veux être Chateaubriand ou rien » - soit l’homme considéré comme l’écrivain le plus doué de son époque…

Botter le cul des classiques

En 1830, Hugo est déjà connu pour une première série d’œuvres remarquées – et déjà censurées pour une partie d’entre elles. Il fait partie de la toute jeune génération des artistes romantiques, partis en croisade contre l’art et la littérature à la papa de leurs ainés, littérature qu’ils jugent sclérosée, pénible, trop codifiée. Théophile Gautier, Nerval, Dumas, Berlioz… A leurs yeux, on s’ennuie comme des rats morts dans les carcans classiques du théâtre ou des poèmes à l’ancienne. D’où l’idée de dynamiter tout ça – et c’est Hugo qui va porter le coup le plus mémorable à la tradition avec Hernani, une pièce écrite rapidement pour ne pas se laisser distancer par d’autres auteurs comme Dumas ou Vigny qui lui disputent la place de maître à penser de la jeune génération. Et il faut se dépêcher, d’autant que Charles X a censuré sa pièce précédente. Le drame, très oubliable, raconte l'histoire d'amour malheureuse d'un banni, Hernani, pour une infante, doña Sol, et compte au moins un vers passé dans le langage courant, au bout d’une longue tirade : l’expression « J’en passe et des meilleurs ».

A l’annonce de la future représentation, les premières fuites font naître un climat de tension qu’on peine à s’imaginer. Hernani devient un symbole de la lutte entre l’ancien et le nouveau monde avant même sa première représentation. Sans l’avoir vu, tout le monde s’engueule sur cette pièce cette pièce qui casse les canons du théâtre classique, notamment les trois unités de temps, de lieu et d'action énoncées par Boileau sous le règne de... Louis XIV, quand même.

Hugo sent le soufre. Il a 28 ans tout juste – et il adore ça.

« Une rumeur d’orage grondait dans la salle »

25 février 1830 donc au Théâtre-Français (la Comédie Française actuelle) Ses amis sont arrivés tôt, quatre heures avant la représentation, et occupent l’essentiel du parterre, loin des loges et des étages plus chers. Cheveux longs, vêtements excentriques, les jeunes gens font tout pour affoler le public traditionnel. Il y a là Théophile Gautier, en gilet écarlate, Balzac, qui se prendra un trognon de choux en peine binette, jeté depuis un balcon, et bien d’autres. Entrés dans le calme en dépit des provocations des forces de l'ordre qui ne demandent qu’une échauffourée pour annuler la représentation, les jeunes gens patientent difficilement dans le noir jusqu’au lever de rideau tandis que la salle se remplit. En se gobergeant : ils ont prévu le coup et sortent bouteilles et sandwichs au beau milieu de la salle. Fins saouls, certains urineront dans les loges après qu’on leur interdit l’accès aux toilettes du théâtre… Des punks, vous-dis-je, qui se moquent des « perruques » qui s’installent petit à petit dans les loges dans une atmosphère électrique.

Le rideau se lève enfin – ce sera un triomphe. "L’armée romantique", à un spectateur contre trois pourtant, réduit au silence les timides protestations des classicistes. Hugo est porté en triomphe jusqu'à chez lui et prend une cuite d'anthologie au passage, à en croire Alexandre Dumas. Et la recette est fort belle.

« A la guillotine les genoux ! »

La pièce, dont on pensait qu’elle ne durerait pas, fut pourtant jouée quatre mois encore. Petit à petit pourtant, le rapport de force s’inversa dans le public et si chaque représentation fut l’occasion d’un nouveau bordel généralisé, on n’arriva jamais au triomphe du premier soir. Les noms d’oiseau volèrent de plus en plus bas, les sifflements se multiplièrent et on vint même aux mains, le soir où un sculpteur exalté lança aux vieillards à calvitie qu’il haïssait tant : « A la guillotine, les genoux ! ». Les moqueries se multiplient dans la presse, les journaux s’écharpent, on se met des gnons un peu partout – et parfois pire : un gamin de 20 ans mourra dans un duel, pour avoir voulu défendre Hugo, son héros. Ce qui mettra fin au débat pour de bons, pourtant, ce ne sera rien de moins qu’une Révolution – les Trois Glorieuses.

Avec des débuts pareils, l’ami Hugo avait fait ses preuves – et il gardera toute da vie cette tendance à envoyer paître l’ordre établi, de la défense de ses chers Misérables à ses attaques coûteuses contre « Napoléon le Petit ». Insolent, batailleur, frondeur : Hugo aurait-il été si fâché que ça de se voir contesté par les lycéens d’aujourd’hui ?

Publié par jcpiot / Catégories : Actu