Lundi 11 novembre 1918, une journée pas comme les autres

Tous pays confondus, 9,8 millions de militaires sont morts au combat pendant la Grande Guerre. 20 autres millions y furent blessés. Plus de 1 000 soldats français tués chaque jour pendant 40 mois – voilà ce que fut la Première Guerre mondiale. Sur le front occidental, le massacre cessa un matin d’automne, le 11 novembre à 11 heures précises. Quelques heures plus tôt, l’armistice avait été signé à Rethondes, à la demande des autorités militaires allemandes. Retour sur une journée pas comme les autres.

5 heures du matin en forêt de Compiègne

Un simple wagon-restaurant réaménagé à la hâte, acheminé dans une futaie de la forêt de Compiègne, à Rethondes.

C’est-là, dans cet espace confiné que s’assoit une dizaine d’hommes à l’aube du lundi 11 novembre 1918, peu avant 5 heures du matin. Parmi eux Foch, le commandant suprême des armées alliées et Erzberger, le représentant des autorités allemandes. Ce dernier mourra trois ans plus tard, assassiné par des nationalistes allemands qui ne lui pardonneront jamais d’avoir été celui qui signa l’armistice.

Les termes du texte ont été négociés - disons imposés - à une délégation allemande pressée par la situation catastrophique qui règne en Allemagne, où la situation menace de virer à l’anarchie à cause ou malgré l’abdication de Guillaume II, le 9 novembre.

 Entre 5h00 et 5h20, les documents circulent de main en main. Foch, commandant suprême des forces alliées, signe les 34 articles du texte « au nom des puissances alliées et associées ». Les représentants allemands signent à leur tour. A leur amertume retenue répond l’attitude scrupuleusement polie – et glaciale – des alliés. L’article 1 est rédigé ainsi : « Cessation des hostilités, sur terre et les airs, six heures après la signature de l'armistice »

La guerre est terminée – presque.

22 ans plus tard, le chancelier Hitler exigea que la reddition française de 1940 soit signée très précisément au même endroit, dans le même wagon. Les alentours seront labourés, l’ensemble des monuments commémoratifs abattus par le Reich. Le wagon de Rethondes, lui, fut ramené à Berlin et ouvert au public – avant qu’Adolf Hitler ne décide de le faire tout bonnement sauter en avril 45, quelques jours avant d’appliquer le même traitement à sa propre cervelle. Jusqu’au bout, le Führer aura pensé à ce wagon si lourd de symboles.

Mourir à la dernière minute

L’armistice entre en vigueur à 11h00 précises. Sur tout le front, les clairons sonnent le cessez-le-feu, les cloches des églises sonnent à la volée et passée une minute qu’on imagine surréaliste, chaque combattant, quelle que soit sa nationalité comprend que pour la première fois depuis des mois, il ne risque plus la mort à chaque seconde.

Pourtant, ce matin-là, on a tué et on est mort jusqu’à la dernière minute. Et ce n’est pas une image. A 10h58, le soldat canadien Georges Price tombe en Belgique, touché au cœur par la balle d’un sniper allemand. A 10h59, un employé de banque américain, Henry Gunther, est abattu par une rafale de mitrailleuse. Il est officiellement considéré comme le dernier soldat tué sur le front occidental.

Vrigne-Meuse, la dernière bataille

Le dernier mort français fut Augustin Trébuchon, une estafette de la 9e compagnie du 415e régiment de la 163e division d'infanterie. Une balle l’atteignit à la tête vers 10h55, devant le village de Vrigne-Meuse, alors qu’il amenait un message à son capitaine. Cette attaque, la dernière offensive française, avait commencé deux jours plus tôt. L’ordre était limpide : « Franchir la Meuse. Occuper le village de Vrigne-Meuse. Opération à exécuter d'urgence et sans se laisser arrêter par la nuit. » Augustin Trébuchon était un berger de 40 ans, venu de Lozère. Il combattait depuis quatre ans. L’attaque lancée par le 415e régiment au matin du 11 novembre coûta la vie à 51 de ses camarades. 92 autres furent blessés.

Cinq minutes après la mort d’Augustin Trébuchon, à 11 heures, c’est au soldat Delalucque que revient l’honneur de sonner le cessez-le-feu. Appelé par son capitaine pour effectuer les sonneries réglementaires, le brave poilu, un tantinet ému sans doute, se… plante royalement dans les notes – il racontera plus tard : « La dernière fois que je l’avais joué, c’était en 1911, au champ de tir… »

Les sonneries se succèdent pourtant tant bien que mal, au prix de quelques pouëts : « Cessez-le-feu », donc, puis « Levez-vous », « Garde à vous » et enfin « Au Drapeau ». Une Marseillaise timide éclate. Quelques hommes sortent de leurs abris, presqu’assommés par cette prise de conscience : ils ne vont pas mourir – pas eux.

De l’autre côté, les Allemands se montrent à leur tour.  Pour la première fois en 40 mois, les « Feldgrau » et les « Bleu horizon » se regardent sans chercher à se massacrer mutuellement.

Par ordre de l’Etat-Major, personne n’est mort le 11 novembre 1918

Augustin Trébuchon, donc, « mourut à l’ennemi » le 11 novembre, à quelques minutes de la fin des combats – pourtant, sur son livret militaire, la date du 10 est évoquée. Et il ne s’agit pas d’une erreur : tous les morts français du 11 novembre, pour l’armée, sont morts la veille. La preuve :

Augutin Trébuchon

Administrativement parlant, donc, personne n’est mort le 11 novembre, pour deux raisons. La première est d’ordre symbolique : difficile d’imaginer plus absurde que d’envoyer des hommes mourir le dernier jour alors que depuis l’aube, tous les états-majors ont eu connaissance de l’heure de la fin des combats, signée à Rethondes.

La seconde est pour ainsi dire bureaucratique. Au-delà des morts du 11 novembre, la date du décès des blessés qui moururent les jours suivants fut également antidatée par leur hiérarchie ou par les médecins. Pourquoi ? Pour permettre à leurs épouses de toucher les pensions accordées aux veuves de guerre et s’éviter ainsi de longues contestations. Question de morale : toute mesquinerie aurait été impensable au terme de l’effort inouï demandé aux Français.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu