Saison des prix Nobel : quatre lauréats pas comme les autres

La 112ème saison des Nobel est ouverte et comme chaque année, les pronostics vont bon train pour tenter de deviner qui obtiendra l’une des plus prestigieuses récompenses du monde dans l’une des trois disciplines scientifique (médecine, chimie et physique), en littérature ou dans le domaine éminemment politique du prix Nobel de la paix. Et depuis 1901, le palmarès a connu quelques lauréats originaux, à différents titres.

Le Nobel de médecine pour l’inventeur de la… lobotomie

En 1949, le comité Nobel attribua son prix de médecine à un médecin portugais, le Dr. Antonio Moniz pour le récompenser d’une avancée qui fait légèrement froid dans le dos, à quelques décennies d’écart : le traitement des psychoses par la leucotomie frontale transorbitaire. Une opération plus connue sous le nom de lobotomie qui consiste à vous mettre un bon coup de pic à glace entre les deux yeux. Paf.

Neurologue et politicien célèbre de l’après-Première Guerre mondiale, le bon docteur Moniz avait suivi des près les travaux de chirurgiens qui avaient découvert que certains chimpanzés particulièrement agressifs devenaient doux comme des agneaux, une fois découpés les lobes frontaux de leurs cerveaux. En langage médical, on parle d’indifférence comportementale. En langage courant, on dirait que le patient lobotomisé connaît pour le restant de ses jours le même type de vie heureuse qu’une plante verte. En plastique.

Moniz, qui n’était pas le moins du monde chirurgien, pratiqua personnellement des lobotomies sur des patients de l’asile de Lisbonne, essentiellement des femmes pas franchement volontaires. Le docteur Moniz avait de la suite dans les idées, puisqu’il avait dès le début du siècle estimé que cette opération était un moyen fabuleux de « guérir » l’homosexualité. La lobotomie fut assez largement répandue dans le traitement des psychoses à travers le monde entier avant que quelqu’un ne finisse par observer que ce type de traitement allait peut-être un rien trop loin. Sans convaincre tout le monde d’ailleurs, elle est toujours pratiquée dans certains états, en particulier du côté de la Scandinavie. Le docteur Moniz mourut en 1955. Il passa les dernières années de sa vie dans une chaise roulante après s’être fait tirer dessus par un patient dont il n’avait probablement pas percé le crâne assez vite.

Pour comparer, rappelons que le professeur Robert Jarvik, le médecin qui a inventé le cœur artificiel, n’a jamais eu le Nobel.

Le Nobel d’économie qui perdit des milliards

Imaginez une seconde combien des investisseurs seraient prêts à payer pour un outil qui puisse prédire les mouvements des marchés financiers. C’est exactement ce qui valut le prix Nobel d’économie à Myron Scholes et Robert Merton : leur modèle, récompensé en 1997, est censé prédire la valeur à long terme d’une action sur la base d’une tripotée d’indices et de statistiques dont je ne comprends pas un traître mot, en ce qui me concerne.

Evidemment, ils ont eu leur petit succès et Myron Schole en profita pour créer dans les années 90 sa propre société d’investissements boursiers, Long Term Capital Management. L'aura de son prix Nobel fit beaucoup pour le succès de sa société, vite submergée de demandes. Elle géra à son plus haut près de 1 200 milliards d’actifs, quelque chose comme le PIB français de l’époque.

Seul hic, le modèle ne devait pas être si parfait que prévu. La crise asiatique de 1997 déclencha un mouvement de panique que le modèle en partie créé par Merton n’avait pas franchement prévu. L’entreprise perdit 4,6 milliards de dollars en quatre mois. La crise russe de 1998 finit par voir la peau de l’entreprise, dont les capitaux furent littéralement détruits en quelques jours.

Un Nobel de physique pas franchement prévu

Dans les années 60, la vaisselle vole bas dans le petit milieu des spécialistes du cosmos : tout le monde cherche à savoir comme est né l’univers et les théories s’affrontent, parfois violemment. Les tenants du Big Bang cherchent une preuve qui vienne confirmer leur thèse d’une immense explosion originelle. L’idée veut qu’après tout, si ça a pété vraiment fort, il doit encore être possible de découvrir des traces de l’onde de choc. Sauf que personne n’arrive à capter ce rayonnement fossile.

C’est à cette époque, en 1964 , que Woodrow Wilson et Arno Penzias travaillent sur une nouvelle antenne pour l’entreprise Bell. Un beau matin, ils captent un signal radio étrange et assez faible, mais qui vient de partout autour d'eux.

Comme n’importe qui l’aurait fait à leur place, les deux physiciens commencent aussitôt par… démolir tous les pigeons du coin à coups de fusil, persuadés que les parasites s’expliquent par la présence de ces bestioles. Après avoir nettoyé soigneusement l’antenne et descendu un nombre considérable de ces pauvres piafs, ils constatèrent que le bruit est toujours présent. Après plusieurs hypothèses (communications militaires, interférence des radios new-yorkaises, E.T-téléphoner-maison…), les deux hommes finissent enfin par penser à cette fameuse onde fossile, devenue le Saint Graal des astrophysiciens.

Bingo.

Penzias et Wilson ont reçu le Nobel de Physique en 1978. Sans s’attarder sur cette sombre histoire de pigeons dans leur discours de remerciement.

Marie Curie, prix Nobel au carré

La France et la Pologne peuvent être fières de Marie Curie. Non seulement elle compte parmi les rares femmes à avoir obtenu un Nobel, mais la chercheuse fut la première à l’obtenir deux fois. C’est certes moins bien que la Croix-Rouge, qui a trois Nobel à son actif, mais l’organisation l’a obtenu dans la même catégorie, à savoir le Nobel de la Paix. Le doublé de Marie Curie a quelque chose d’invraisemblable : elle a obtenu ses deux prix dans deux disciplines scientifiques différentes : la physique en 1903 avec son mari Pierre, et la chimie en 1911, après le décès accidentel de celui-ci.

Répétons : à une époque où le simple fait pour une femme d’enseigner à un autre niveau qu’en primaire était considéré comme saugrenu, Marie Curie a obtenu deux fois en huit ans la plus prestigieuse des récompenses scientifiques, dans deux champs de recherche distincts. Elle reste la seule et unique chercheuse de l’histoire à avoir réussi cet exploit. Pour la petite histoire, elle faillit manquer la seconde récompense suite à une campagne de dénigrement lancée parce qu'elle avait eu l’audace de vivre une liaison avec le mathématicien Paul Langevin. Celui-ci était marié et la presse nationaliste dénonça cette Polonaise qui venait « briser des ménages français. »

Pour la petite histoire (bis), la famille ne s’est pas arrêtée en si bon chemin : la fille de Pierre et Marie Curie a obtenu à son tour un prix Nobel en 1935, toujours en chimie. Sauf surprise, la Croix-Rouge n’est pas prête d’en faire autant.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu