De Fouquet à Cahuzac : monter haut mais descendre vite

Si la démission d’un ministre n’est pas une première, celle de Jérôme Cahuzac a frappé par sa rapidité. Chute brutale donc mais volontaire, ne serait-ce que dans la forme. Un de ses lointains prédécesseurs n’eut pas cette chance : Nicolas Fouquet, brusquement arrêté un matin de septembre 1661 sur l’ordre direct d’un souverain de 23 ans : Louis XIV.

1 Un écureuil riche à millions

En 1661, Fouquet est à son apogée. Personnage clef de l’État, membre du Conseil du Roi, il est surintendant des finances depuis huit ans déjà. L’écureuil de son blason, qui rappelle ironiquement le logo de la Caisse d’Épargne, s’assortit d’une devise qui résume son arrogance : « Quo non ascendet ? » (Jusqu’où ne montera-t-il pas ?). Et Fouquet est en effet monté haut, et très vite. Plus jeune surintendant des Finances de l’histoire, il s’est taillé en une dizaine d’années un véritable empire financier et immobilier - d’une façon totalement malhonnête.

Parmi les mille techniques utilisées, la plus rentable est la plus simple : il a engagé les finances royales dans une série d’emprunts désastreux. Leurs taux d’intérêts ahurissants  - jusqu’à 20 % tout de même - garantissent des profits records  à des prêteurs que connait bien Fouquet, puisqu’il les contrôle pour la plupart. Tout emprunt contracté par l’État l’enrichit mécaniquement dans des proportions inouïes.

Que Fouquet ait donc profité de sa charge, c’est le moins qu’on puisse dire – il avait été à bonne école auprès d’un Mazarin lui-même bien rodé en matière de détournement de fonds. Mais voilà : Mazarin avait l’appui de la Reine.  En dépit de sa fidélité pendant la Fronde, Fouquet n’aura jamais celui du roi. Outre que le jeune roi est loin d’être naïf, Fouquet a des ennemis, dont Colbert qui se fait un plaisir de murmurer à l’oreille du roi tout le mal qu’il pense du ministre, dont l’imprudence ne va rien arranger.

2 Bal tragique à Vaux-le-Vicomte

Le 11 juillet 1661, Fouquet invite le roi dans son magnifique château de Vaux le Vicomte. Versailles n’est encore qu’un pavillon de chasse,  le roi n’a pas un sou vaillant : il sortira profondément blessé de cette nuit de fête, d’un luxe à peine concevable : feux d’artifices, banquet signé Vatel pour mille personnes, première d’une pièce de Molière, spectacle de jets d’eau… Pire : Fouquet propose au roi de lui offrir le château et toutes ses terres, ajoutant une insulte pavée de bonnes intentions à l’étalage insolent d’une fortune trop belle pour ce serviteur plus brillant que son maître. C’est la fête de trop au goût d’un Louis XIV qui se sent humilié, qui plus est en présence de sa toute jeune épouse. Il confie à sa mère Anne d’Autriche, dans le carrosse qui les ramène à Paris : « Ah, Madame, ne ferons-nous pas rendre gorge à tous ces gens-là ? »

Le roi veut agir vite : il sait de source sûre que Fouquet s’est préparé à toutes fins utiles une sorte de refuge à Belle-Île, dont il a réarmé la forteresse. Il sait aussi que le Surintendant finira par entendre les signaux d’alerte que ses amis ne cessent de lui adresser.

3 Arrestation miteuse, procès truqué

Persuadé que les amis de Fouquet peuvent compromettre l’arrestation, le roi fait preuve de la plus extrême prudence. Plutôt que d’en charger le capitaine de sa garde, il s’entretient dans le plus grand secret avec un personnage relativement obscur, sous-lieutenant de la compagnie des mousquetaires : un certain … d’Artagnan. À Nantes, au terme d’un Conseil royal, Louis XIV lui-même retient Fouquet pour laisser aux mousquetaires le soin de se positionner. C’est un bide magistral : la foule empêche les soldats de le voir passer, au point que d’Artagnan passe un sale moment, persuadé que l’homme a été prévenu. On finit par arrêter Fouquet deux heures plus tard, dans sa chaise à porteur. Il tombe des nues mais parvient à faire prévenir ses proches, ce qui ne servira à rien : aucun n’a le réflexe de faire disparaître les livres de comptes les plus compromettants.

Le procès est une catastrophe juridique : droits bafoués, proches embastillés sans raison, preuves falsifiées, réquisitoires haineux, juges corrompus, implication visible d’un Colbert chez qui ça vire à l’obsession… L’opinion se retourne : de bouc émissaire parfait, Fouquet passe au stade de victime de l’absolutisme. Corneille, La Fontaine ou  Mme de Sévigné s’en mêlent, prenant publiquement sa défense. Fouquet est reconnu coupable, mais échappe à la peine de mort. Il est condamné à un simple bannissement du royaume et à la confiscation de ses biens – au vu des charges, c’est presqu’un acquittement.

Le roi rentre dans une telle fureur qu’il utilise son droit de grâce pour… aggraver la peine, qu’il transforme en réclusion à perpétuité : Fouquet est expédié à Pignerol, une forteresse glaciale bâtie au beau milieu des Alpes, bien connue pour avoir hébergé le célébrissime Homme au Masque de fer. Il y passera 20 ans à espérer une grâce qui ne viendra jamais, avant de mourir d’apoplexie en pleine montagne – « Jusqu’où ne montera-t-il pas » ?

Publié par jcpiot / Catégories : Actu