Faudrait-il rétablir la police de proximité ?

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Les « violences policières » sont d’actualité. Dans ce contexte, plusieurs personnalités politiques reparlent de la police de proximité comme d’un moyen d’améliorer les relations entre les populations et les policiers. Alors, qu’en est-il vraiment ?

La police de proximité, c’est quoi ?

La police de proximité a été mise en place en 1998 par le gouvernement Jospin. Dans une interview récente réalisée par Franceinfo, Jean­-Pierre Havrin, ancien commissaire à Toulouse et initiateur de cette police de proximité, évoque le dispositif en ces termes :

« Les agents se promenaient dans le quartier qui leur avait été affecté avec des cartes de visite où se trouvait leur numéro de téléphone pour que les habitants puissent les contacter quand ils le voulaient. Il fallait que les gens se sentent protégés et apprivoisent les policiers. Ça a pris du temps, mais au bout d'un moment, ils se sont habitués, certains invitaient les policiers à prendre le thé. On organisait des matchs de rugby avec les jeunes. Aujourd'hui encore, certains que je croise me disent que cette police leur a permis de ne pas devenir des délinquants. (…) C’était au cœur de notre philosophie : la prévention plutôt que la répression ».

Mais la police de proximité a été supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

Jean­-Pierre Havrin pour Franceinfo : « Depuis que la sécurité est devenue un enjeu politique, il existe une philosophie du chiffre très dommageable chez les policiers. Les agents sont encouragés à faire des interpellations, à résoudre des affaires, à verser dans la répression plutôt que de la prévention. Sur le terrain, cela se traduit par des délits de faciès, de l'incompréhension, de la colère... et, à son pire niveau, des bavures comme dans les affaires Adama Traoré ou Théo. (…) Il faudrait remplacer la contrainte du taux d’élucidation par le taux de satisfaction. Mais la prévention a toujours été la faiblesse de la police, car elle ne se chiffre pas. "Ce qui n’est pas arrivé" n'intéresse pas les politiques ».

Quels sont les arguments en faveur d’une police de proximité ?

La réalité du terrain : une meilleure relation entre les populations et la police

Nombreux sont ceux qui, comme Jean­-Pierre Havrin, pensent que la police de proximité permettait d’améliorer les relations entre les populations et la police : « (…) à Toulouse, où je l'ai testée, il y avait moins de conflits entre la police et les habitants. On envoyait des agents dans chaque petit bout de quartier, on leur disait : "Toi, tu as tant de rues, et tu y restes !" Il fallait que le policier s'approprie les lieux, connaisse tout le monde. On l'incitait à rencontrer les associations, les responsables du quartier ».

Bien que la police de proximité a l’avantage d’être proche des populations, notamment dans les quartiers, nous n’avons pas de preuves rigoureuses de ses effets sur les relations entre les populations et la police. Néanmoins, il existe certains arguments issus des sciences de l’éducation qui sont en faveur de certains effets positifs d’une telle police…

Les arguments scientifiques en faveur d’une police de proximité

Il y a presque un an, j’évoquais déjà ces arguments dans un post écrit à « 4 mains » avec Chris, policier et auteur du blog « Police de caractère » :

On ne peut pas comprendre les difficultés relationnelles qui peuvent exister entre la population et la police sans comprendre les principes fondamentaux qui gouvernent les comportements humains : En France, le système d’ordre fonctionne sur un principe majoritairement répressif. A chaque fois qu’un individu subit une répression de tout type (amende, réprimande, contrôle, leçon de morale, avertissement, prison, etc.), cette répression a des effets sur son organisme. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais il s’agit de réactions physiologiques « automatiques ». Concrètement, ces réactions physiologiques se caractérisent chez la personne par des comportements du type « fuite », « colère », « gène », « rancœur », etc. Bref, ces réactions physiologiques sont vécues comme désagréables pour l’individu. Le fait que ces sensations soient vécues comme désagréables a une valeur de survie pour l’espèce humaine : elle apprend ainsi à l’individu à ne plus recommencer les « mauvais comportements » pour éviter de ressentir à nouveau ces émotions « désagréables ». Bref, tout ceci est un peu simplifié et relève du bon sens, mais il est important de partir de cette base pour comprendre la suite...

Connaissez-vous la fameuse expérience du « chien de Pavlov » ? Je vous la résume :

L’ingestion de nourriture entraîne une salivation chez tous les individus d’une même espèce (cela aide à la digestion des aliments). La salivation est donc un comportement inné utile à la survie de l’espèce. Contrairement aux aliments, le son de la cloche ne déclenche pas de salivation a priori, on dit que c’est un stimulus « neutre ». Mais si l’on fait précéder à plusieurs reprise l’administration de nourriture d’un son de cloche, ce son devient capable à lui seul de provoquer la salivation du chien, malgré l’absence de la nourriture. On dit que la salivation du chien déclenchée par le son de cloche est un comportement appris par « association ». Bien sûr, l’être humain n’est pas un chien, mais il n’empêche qu’il est aussi sujet à ce type d’apprentissage. Par exemple : frissonner lorsque l’on voit de la neige ; avoir une accélération de son rythme cardiaque quand on réécoute une musique entendue lors d’un premier rencard ; avoir la nausée en sentant un alcool qui nous a fait vomir lors d’une précédente cuite ; se boucher les oreilles en voyant quelqu’un allumer un pétard ; l’enfant qui rigole avant que la main de l’adulte vienne lui toucher le ventre pour le chatouiller, etc. Ce type d’apprentissage par association est aussi « inscrit dans nos gènes », car il permet une meilleure adaptation de l’être humain à son environnement (pour simplifier, cela permet à l’individu de mieux anticiper les changements de son environnement).

C’est cet apprentissage « par association » qui est en partie responsable des stéréotypes, des amalgames, des généralités, des a priori... Et donc aussi des relations entre la police et les populations !

Pour résumer : Par un mécanisme d’apprentissage « associatif » inhérent à tous les êtres humains, l’individu va associer ces expériences physiologiques « désagréables » à la personne qui émet ces répressions. Sans le vouloir, l’individu va donc attribuer (à tort) la cause de ses réactions émotionnelles négatives aux policiers. A force de répéter ces associations, les officiers de police, sans même réprimander, finissent donc immanquablement par évoquer ces réactions émotionnelles.

Tout cela semble être une évidence. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces mécanismes opèrent sans que nous n’en ayons conscience. L’intelligence, la raison ou la culture n’ont aucune prise sur ces réactions émotionnelles. Qu’on le veuille ou non, les réactions physiologiques « négatives » provoquées par la répression entraineront donc toujours le même résultat : des réactions émotionnelles négatives à l’égard de ceux qui réprimandent.

Mais l’apprentissage « par association » a aussi un impact sur les policiers eux-mêmes :

- Du fait de son fonctionnement en tant qu’être humain et du fait du fonctionnement répressif de la société, la population apprend donc (malgré elle) a développer des réactions physiologiques « négatives » envers tout ce qui peut symboliser les forces de l’ordre.

- Ces réactions physiologiques ont pour conséquences la fuite, l’évitement, la condescendance, la critique, le mépris, etc. envers l’institution policière et donc envers les policiers.

- Ces comportements de « rejet » entrainent à leur tour chez le policier (qui est aussi un être humain !!) des réactions physiologiques de stress « désagréables ».

- Par « association », le policier apprend donc (malgré lui) à associer ces émotions « désagréables » à une partie de la population et ce qui la représente.

- A leur tour, ces réactions physiologiques ont donc pour conséquences la fuite, l’évitement, la condescendance, la critique, le mépris, etc. envers les populations.

- C’est ainsi que l’on peut finir par observer, dans les cas extrêmes, des « bavures » policières. Et la boucle est bouclée.

Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire pour changer les choses...

La police de proximité, un moyen d’améliorer les relations entre les populations et la police ?

Un des moyens d’améliorer ces relations serait donc de réassocier l’institution policière à des réactions émotionnelles « positives ». Je me souviens, il y a une vingtaine d’années de cela, un département français avait expérimenté un contrôle original des automobilistes par les autorités : les automobilistes étaient arrêtés non pas pour être verbalisés, mais on contraire pour être félicités pour leur bonne conduite. C’est un peu ce qui est proposé dans cette expérimentation originale d’un contrôle de vitesse des automobilistes :

Attention, je ne dis pas qu’il faut se passer du répressif ! Bien évidemment, l’humain apprend aussi grâce aux sanctions ! Ce que je dis, c’est que si l’institution policière était moins associée à des évènements « négatifs », alors on commencerait à observer dans nos sociétés de meilleures relations entre les populations et la police. Et les polices de proximité avaient justement cet avantage de ne pas être principalement associées à du répressif.