« Le clan des psys ». Episode 06 : les utopistes

B.F. Skinner

« Le clan des psys » est une saga déclinée en épisodes inspirés de faits réels relatés par des patients, des psys ou relayés dans la presse.

« L’homme est né libre, mais partout il est dans les fers » (Rousseau).

Episode 06 : les utopistes

Les psychologues « utopistes » sont ceux qui ont à coeur d’essayer de résoudre les problèmes de société et d’aider l’humanité à progresser. Cette « utopie » sociale est caractérisée par un but : la satisfaction individuelle. Pour ces psychologues, le meilleur moyen d’atteindre un tel but est de se référer à une science du comportement. De cette science peuvent être en effet extraits des principes d’apprentissage pouvant être appliqués aux comportements humains pour tenter d’améliorer la vie des personnes dans différents domaines sociaux importants tels que l’éducation, le langage, le travail, les loisirs ou la culture (Baer, Wolf, et Risley, 1968).

La démarche scientifique peut-elle permettre d’aboutir à des applications bienfaisantes à l’échelle d’une société humaine ?

« Une analyse scientifique du comportement doit, à mon avis, supposer que le comportement de l’individu est contrôlé par son histoire génétique et environnementale plus que par la personne elle-même, en tant qu’initiatrice ou créatrice de l’action ; » (B. F. Skinner, 1979, p.193).

B. F. Skinner (1904-1990) est l’un des premiers psychologues (si ce n’est le premier) à s’être intéressé aux problèmes liés à la crise de la démocratie en se référant à une approche expérimentale du comportement. Selon lui, et pour la plupart des psychologues scientifiques, l’être humain est déterminé par les conséquences de ses propres actions et est soumis aux contraintes de son environnement. Les conditions de l’environnement étant en perpétuelle évolution, elles sont donc à réajuster sans cesse. Globalement, l’utopie peut être touchée du doigt en agissant sur ce qui nous détermine réellement, c’est-à-dire sur les relations entre l’environnement social et le comportement des individus.

Le livre Walden 2 : une fiction politique ayant le projet scientifique de changer la société

Dans le livre Walden 2, mi-roman, mi-récit philosophique publié en 1948, Skinner décrit un « modèle de société et d’organisation sociale basés sur une conception scientifique du comportement (…) » (p.6). Dans Walden 2, « la représentation de l’homme libre et heureux (…) est posée clairement sur la base des connaissances expérimentales du comportement humain (…). Il s’agit d’une stratégie pour connaitre et maitriser le milieu social, dont le comportement est issu et façonné » (p. 21).

Bien-sûr, les « solutions » proposées dans Walden 2 sont difficilement transférables au monde réel. Cependant, la gestion sociale imaginée par Skinner pourrait tout-à-fait inspirer nos dirigeants politiques pour tenter de trouver des solutions alternatives à nos problème sociaux. Car au-delà de cette fiction, la connaissance du comportement qui sert de référence au récit est cette fois-ci bien réelle : l’analyse expérimentale du comportement est un champ de recherche en psychologie qui se développe depuis les années 1930. Quant à l’application aux comportements humains des principes issus de cette branche expérimentale, elle débute à la fin des années 1950 : c’est à partir de cette période que les psychologues ont ainsi commencé à s’intéresser aux possibles améliorations de nos comportements et de la vie des personnes sur les bases d’une méthode expérimentale.

Des exemples de communautés « utopiques » bien réelles

C’est ainsi que, dès le début des années 1950, différentes communautés s’inspirant des idées évoquées dans Walden 2 ont vu le jour. C’est le cas par exemple de la communauté de « Los Horcones » au Mexique qui existe depuis plus de 40 ans. Cette communauté « utopique », tente d’apporter des solutions aux problèmes cruciaux de la civilisation occidentale par le biais des principes de l’ingénierie comportementale. Parmi ses objectifs : 

  • « Augmentation des comportements coopératifs, et diminution des comportements compétitifs,
  • Accroître les comportements de partage communautaire, et faire disparaître la propriété privée.
  • Accentuer les comportements égalitaires, et diminuer ceux destinés à provoquer des discriminations » (p. 23).

Il existe un modèle un peu similaire en Espagne, dans la commune de Marinaleda, même si son organisation ne se réclame pas directement des principes issus de l’analyse du comportement.

La vision de Skinner sur la société occidentale de l’époque (et qui à mon avis est encore d’actualité) l’a amené a soulever des questionnements sociaux qui résonnent encore aujourd’hui. Ces questions concernent le problème du chômage, l’éducation, l’égalité sociale, la contradiction entre consommation et ressources limitées, la place de la culture dans nos sociétés ou encore la fracture entre la classe politique et la société civile (les citoyens). Sur cette dernière question, il est encore frappant de voir à quel point les politiciens perdent souvent le contact avec la population qu’ils sont sensés représenter (le fameux pain au chocolat à 15 centimes de Jean-François Copé par exemple). Dans Walden 2, il est proposé au contraire de désigner des personnes « vraiment qualifiées pour les charges qu’elles remplissent plutôt que des individus ambitieux obsédés par la perspective d’une carrière » (p. 39).

Références

Baer, D. M., Wolf, M. M. et Risley, T. R. (1968). Some Current Dimensions of Applied Behavior Analysis. Journal of Applied Behavior Analysis, 1, 91-97.

Schneider, S. M. (2012). The Science of Consequences : How They Affect Genes, Change the Brain, and Impact Our World. New York : Prometheus Books.

Skinner, B. F. (1979). Pour une science du comportement : le béhaviorisme. Paris : Delachaux et

Niestlé. Date de publication originale : 1974, sous le titre About Behaviorism.

Skinner, B. F. (2005). Walden 2. In Press. Date de publication originale : 1948.