Comment les attentats écrasent vos libertés

Polaroliv'

Chaque semaine, j’interviens dans un service d'aide aux victimes en région parisienne. Mon travail consiste principalement à informer, soutenir et orienter les personnes victimes d’infractions pénales.

Ce samedi 14 novembre, notre service a été sollicité pour prendre en charge une partie des victimes des attentats de vendredi soir…

Du stress à l’évitement

Lors d’une agression aussi menaçante et inhabituelle, l’organisme répond par une cascade de mécanismes biochimiques. Ces réactions physiologiques de stress poussent les victimes à fuir, à survivre. Schématiquement, plus le risque de mourir est perçu comme étant important, plus la réponse de stress est élevée.

Après l’attentat, cet état de stress peut persister et se réactiver dans des situations similaires à celles vécues lors de l’agression : des lieux, des circonstances (les endroits clos, sans issu de secours par exemple), des sons (les bruits de pétards par exemple).

Selon les individus, un apprentissage de la peur se met donc en place. Et cet apprentissage peut malheureusement se généraliser à des situations beaucoup plus étendues que celles limitées au seul lieu de l’attentat.

Ainsi, pour un des spectateurs présent au Bataclan ce soir là, il est pour l’instant « impossible » de reprendre les transports en commun car la foule est devenue pour lui un danger potentiel. Une autre victime se met à pleurer dès qu’elle entend des sons qui « claquent comme des pétards », similaires aux coups de feu entendus le soir du concert. Pour une autre victime, il n’est pour le moment pas envisageable de retourner dans un restaurant parisien avec ses proches.

Les comportements d’évitement

Une des conséquences de cet apprentissage généralisé est donc que la victime va changer ses habitudes en cherchant à éviter toutes les situations qui évoquent des réponses de stress.

Ces changements d’habitudes sont fréquents après des attaques aussi graves. On les appelle des « comportements d’évitement ». Même si les victimes veulent continuer à agir comme d’habitude, elle ne le peuvent plus. Elles n’arrivent plus contrôler leurs émotions. La simple exposition à des situations plus ou moins similaires à celles vécues lors de l’attentat suffit à déclencher des réactions de stress, même si les victimes reconnaissent le caractère parfois irrationnel ou exagéré de leur peur. Elles sont soumises à une contrainte qu’elles ne maîtrisent plus, comme si cette contrainte venait de l’intérieur. Elles nous disent que leurs comportements d’évitement sont plus forts qu’elles.

Leurs réactions émotionnelles sont en effet totalement indépendantes de leur volonté. Et elles sont régies par un principe comportemental auquel tous les organismes vivants sont soumis, sans exception, un héritage génétique qui favorise la survie de l’espèce humaine.

Nous sommes moins maîtres de nos émotions que de nos idées

Suite à un évènement potentiellement traumatique, les victimes sont donc amenées à changer leurs habitudes qui rendaient pourtant leurs vies si confortables. Et par conséquent leurs sentiments de liberté diminuent de façon plus ou moins importante.

Pourtant, on peut lire dans les médias que la France est un pays libre, qu’il ne faut pas céder à la peur, qu’il faut continuer à prendre nos libertés. C’est comme si, d’une certaine façon, la liberté consistait à rester maître de ses propres choix.

Mais la liberté n’est pas qu’une question de droit. Pour les victimes, la question n’est pas vraiment de « vouloir », mais plutôt de « pouvoir ». Les victimes des attentats ne décident pas seulement de reprendre leur droit. Elles doivent aussi réapprendre à pouvoir le faire, réapprendre à ne plus avoir peur. Réapprendre, avec ou sans aide, à entrer sereinement dans une salle de concert, de cinéma ou à se mêler à une foule. Réapprendre à diminuer ses réactions de stress grâce à des stratégies qui ne font appel ni à la rationalité ni au simple libre arbitre. Car il s’agit bien ici d’apprentissage, beaucoup plus que de volonté. Retrouver nos libertés n’est pas seulement une question de choix, nous devons aussi composer avec les effets de notre propre fonctionnement psychologique sur nos comportements.