Freud a-t-il vraiment existé ?

Raúl Soriano

« En lisant la littérature anglo-saxonne d'auteurs historiens de la psychanalyse (…)  je me suis rendu compte que l'histoire qu'on nous a raconté pour justifier la psychanalyse était en fait une sorte de légende brodée par Freud lui-même, et ensuite embellie par les disciples » (Mikkel Borch-Jacobsen, philosophe et historien, 2015).

« Tous les cas cliniques de Freud publiés sont des cas trafiqués » (Jean-Pierre Ledru, Médecin psychiatre, ancien psychanalyste, 2015).

 « Notre pratique est une escroquerie : bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué (…) (Jacques Lacan, 1977, en parlant de la psychanalyse. Propos cités par S. Robert, 2015).

Ces extraits d’interviews sont tirés d’un document récent, Les déconvertis de la psychanalyse, réalisé par Sophie Robert. Un philosophe spécialiste en histoire de la psychanalyse, ainsi que trois anciens psychanalystes y évoquent leurs parcours et les raisons qui les ont amenés à s’éloigner des fondements théoriques de leurs pratiques...

La psychanalyse, une escroquerie ?

Ce document peut paraître édifiant. En réalité, une telle remise en question n’est pas nouvelle. Depuis de nombreuses années, des ouvrages qui proposent une attitude critique et documentée envers la psychanalyse sont en effet régulièrement édités.

A partir d’un tel constat, on est en droit de se poser certaines questions : si la théorie psychanalytique ne s’appuie que sur des cas cliniques truqués, comment pourrait-on lui accorder du crédit ? Cela voudrait-il dire  que les systèmes de soin français en santé mentale, largement inspirés par les travaux de Freud, utiliseraient depuis des décennies des outils thérapeutiques inadaptés ?

La validité des psychothérapies fondée sur des preuves

Des témoignages rapportent régulièrement que la cure ou la thérapie psychanalytique, ça fait du bien. Il est vrai qu’au début, Freud avait la conviction de soigner ses patients, mais il rencontrait régulièrement des difficultés dans sa pratique qui l’amenait à modifier sa théorie. Il a finalement reconnu assez vite que la psychanalyse ne prétendait pas vraiment guérir, opinion partagée aujourd’hui par la plupart des professionnels de la discipline : « Lacan a dit, si quelqu'un va mieux en psychanalyse ça n'a rien à faire avec la psychanalyse, c'est un accident » (Stuart Schneiderman, ancien psychanalyste, 2015).

Il s’avère que sur le divan, lorsque des patients observent un mieux-être, ces améliorations de leur état général seraient plus liées à des facteurs dits « non spécifiques », comme le fait de parler, de se savoir écouté, de croire que l’on va aller mieux, et moins à des facteurs spécifiques à la psychanalyse, comme l’association libre par exemple.

Aujourd’hui, la communauté scientifique s’accorde à dire qu’une psychothérapie se doit d’être évaluée à l’aide de méthodologies précises et de protocoles expérimentaux. L’idée étant de déterminer avec autant de précision possible quels sont les facteurs qui aident les patients à aller mieux. En comparaison, qui d’entre vous accepterait d'avaler un médicament dont les effets n'auraient pas été testés selon une méthodologie rigoureuse ? Bien que l’évaluation des psychothérapies soit loin d’être aisée, l’éthique actuelle amène néanmoins les praticiens à recourir de plus en plus à des psychothérapies fondées sur des preuves.

Or, la démarche de Freud n’était basée « que » sur l’observation de cas cliniques (trafiqués, de surcroît). Il n’avait pas mis en place de protocole d'évaluation, comme l’on peut faire aujourd’hui pour d’autres psychothérapies, pour prouver les effets bénéfiques de sa pratique. C’est ce qui constitue la limite principale de sa théorie.

La psychanalyse, une exception culturelle française

Comparée aux autres pays du monde, l’influence psychanalytique est pourtant encore très importante en France. Les idées freudiennes et celles inspirées par Jacques Lacan persistent, notamment dans les milieux universitaires et les lieux d’enseignement dans lesquels l’approche théorique de la psychanalyse y est dogmatique. De même, les prises en charge psychothérapeutiques réalisées par les psychologues ou les médecins psychiatres s’appuient majoritairement sur les théories construites par Freud.

La psychanalyse fait partie de notre patrimoine culturel, elle jouit d’un certain pouvoir social et d’une grande reconnaissance intellectuelle. De nombreux psychanalystes interviennent régulièrement en radio, télévision, on peut lire leurs articles dans la presse, leurs idées dans des ouvrages, etc. Dans notre pays, nous croyons en la psychanalyse et il est tout à fait naturel et admis que cette pratique puisse nous aider.