Votre smartphone : un outil de dépistage de la dépression ?

Alexander Rentsch

La dépression en quelques chiffres

Parmi l’ensemble des troubles mentaux, les troubles dépressifs sont les plus fréquents après les phobies et l’alcoolisme. Ils sont également la première cause de suicide (selon l’INPES, dans 70% des cas de suicides, les personnes souffraient de troubles dépressifs). Le risque de présenter un trouble dépressif majeur sur la vie varie de 10 à 25 % pour les femmes et de 5 à 12 % pour les hommes.

Sur les 350 000 millions de personnes atteintes dans le monde, seule une minorité a accès à un traitement adéquat : le diagnostic de ce trouble de l’humeur est en effet souvent posé tardivement, ce qui repousse le début de la prise en charge pour de nombreux patients. On comprend alors pourquoi le dépistage de la dépression est un enjeu de santé important…

Le smartphone, collecteur de données sur la santé

Il existe un nombre important d’applications pour smartphone dédiées à la santé et au suivi des patients. Concernant la dépression, une étude vient d’être publiée dans le Journal of Medical Internet Research. Son objectif : explorer comment l’on pourrait utiliser certaines données recueillies pas votre smartphone afin d’en déduire le degré de sévérité des symptômes de dépression. Il s’agirait donc d’un outil de dépistage…

L’objectif de l’étude

Globalement, pour diagnostiquer un trouble dépressif, il est nécessaire (mais pas suffisant) de présenter un certain nombre de symptômes. Par exemple : perte de la motivation, insomnie, difficultés de concentration, etc. Repérer ou dépister ces signes est un premier signal pour consulter un spécialiste et éventuellement obtenir un diagnostic (dépistage et diagnostic sont donc deux choses différentes).

Aujourd’hui, le dépistage de ces symptômes peut être réalisé à l’aide d’outils spécifiques et validés (le plus souvent des questionnaires). L’un de ces outils est le PHQ-9. Pour chacune des neuf questions de ce test, le patient évalue la fréquence de ses symptômes, et en fonction de ses réponses, le score total permet de renseigner sur la gravité d’un trouble dépressif.

Le défi proposé par les auteurs de cette recherche est donc le suivant : pourrait-on trouver une relation entre votre score à ce fameux PHQ-9 et les données transmises par votre smartphone ? Pour le dire autrement, votre smartphone pourrait-il repérer pour vous des signes de dépression ?

L’étude a été réalisée pendant deux semaines auprès de 28 participants dont les smartphones étaient équipés de l’application « Purple Robot » (application développée pour recueillir des informations sur les comportements au quotidien : déplacements géographiques, localisations GPS et fréquence d’utilisation du téléphone). Certains de ces comportements sont supposés être reliés à des signes de dépression : des déplacements peu fréquents et peu variés par exemple.

Les auteurs ont ensuite demandé aux participants de remplir le questionnaire PHQ-9. Les participants ont alors été divisés en 2 groupes : ceux ayant un score élevé au questionnaire (beaucoup de symptômes de dépression) et ceux avec un score faible (peu de signes de dépression).

Il ne restait plus qu’à comparer les données recueillies par les smartphones des 28 participants au bout de ces 15 jours : ces données sont-elles différentes selon que les participants appartiennent à l’un ou l’autre des deux groupes ?   

Les résultats de l’étude

Voici ce que les chercheurs ont pu observer :

- Les participants ayant le plus de signes de dépression sont aussi ceux qui se déplacent le moins (les personnes avec dépression passent en effet plus de temps chez eux).

- Les personnes ayant le plus de signes de dépression sont aussi ceux qui varient le moins leurs déplacements (les personnes avec dépression diminuent en effet souvent leur activité).

- Les participants ayant le plus de signes de dépression sont également ceux qui ont une fréquence importante d’utilisation de leur téléphone.

Que peut-on en conclure ?

Sur certains comportements des participants (comme l’amplitude de leurs déplacements), on constate donc des corrélations avec le niveau de sévérité de la dépression.

Il faut néanmoins modérer ces résultats. Les participants n’étaient que 28, nombre bien trop faible pour pouvoir statistiquement généraliser ces résultats à une population entière. De plus, le nombre de critères comportementaux retenus est insuffisant : il ne suffit pas de constater des déplacements routiniers et limités chez une personne pour pouvoir dépister un syndrome dépressif. De même, ce n’est pas parce que l’on passe beaucoup de temps chez soi qu’il faut s’alerter d’un risque de dépression.

Bref, bien que cette recherche soit tout à fait intéressante dans le développement d’outils de dépistage, nous sommes encore loin d’une application validée pour dépister la dépression, et donc encore moins pour réaliser un diagnostic. Il est en effet impossible (pour l’instant) d’affirmer si une personne est atteinte ou non d’un trouble dépressif en fonction des données recueillies par son smartphone.