Comment l’argent contrôle nos comportements

Le loup de Wall Sreet

Pourquoi l'argent est-il si fascinant ? Pourquoi pensons-nous avoir besoin de tous les biens et richesses qu’il procure ? Une analyse comportementale peut nous donner des éléments de réponse à ces grandes questions :

Une majorité des comportements humains sont appris et maintenus en fonction de leur conséquences. Un exemple simple : j’écoute une émission à la radio. Cette émission me plaît. J’aurai alors tendance à écouter à nouveau cette émission les jours suivants. On dit que ce comportement d’écoute a été renforcé et que cette émission est un renforçateur. On appelle d’ailleurs ce principe d’apprentissage un renforcement.

Dans certaines sociétés dites primitives, l’apprentissage des comportements est encore solidement lié à la nourriture, l’eau, la stimulation sexuelle, et plus globalement à ce que l’on nomme des renforçateurs primaires. C’est-à-dire que tous les comportements qui les produisent sont fortement maintenus quelque soit l’individu, car ils sont nécessaires à notre survie. Un exemple simple : n’importe quel individu assoiffé boit le verre d’eau qu’on lui tend. L’eau est un renforçateur primaire.

Les renforçateurs dits primaires consolident donc nos comportements du fait du résultat de l’évolution de notre espèce.

Les choses se compliquent avec les renforçateurs dits secondaires. Contrairement aux renforçateurs primaires, les renforçateurs secondaires n’ont au départ aucune propriété renforçante. On dit qu’ils sont acquis par apprentissage. L’émission radio évoquée plus haut est un renforçateur secondaire car elle ne plaît pas à tout le monde et n’est pas nécessaire à notre survie.

Nos sociétés modernes sont gavées de renforçateurs secondaires : le vélo, la natation, le ping-pong, les jeux vidéos, l’i-pad, facebook, les vêtements, les voitures, les cigarettes, les activités culturelles, les voyages, les sourires, le succès, la tendresse, la reconnaissance, etc.

Comment les renforçateurs secondaires peuvent-ils consolider nos comportements au même titre que les renforçateurs primaires, alors qu’ils n’ont au départ aucun intérêt pour notre survie ? Démonstration :

Des chercheurs ont réalisé une expérience avec des chimpanzés utilisant comme renforçateurs secondaires des jetons en plastique qu’ils obtiennent en travaillant. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont montré à plusieurs reprises aux chimpanzés comment utiliser ces jetons dans un distributeur de nourriture. Une fois que les chimpanzés avaient compris le principe, les chercheurs ont pu les faire travailler pour obtenir des jetons. Ces jetons en plastiques qui ne représentent a priori rien ou presque pour les chimpanzés, une fois associés au renforçateur primaire (la nourriture), amènent les animaux à travailler dur pour en obtenir.

C’est donc par association répétée avec des renforçateurs primaires que ces vulgaires jetons en plastique ont acquit une valeur renforçante. Dans cette expérience, les jetons en plastiques sont pour le singe une monnaie d’échange, comme l’argent. Mais l’argent est un renforçateur secondaire qui a une place à part dans nos sociétés. Bien que l’on ne puisse pas tout acheter, l’argent donne en effet accès à une grande variété de renforçateurs primaires et secondaires. On dit que l’argent est un renforçateur généralisé. C’est même LE renforçateur généralisé par excellence.

Les renforçateurs généralisés tel que l’argent, sont fortement détachés des renforçateurs primaires. Car bien que l’argent peut être échangé contre des renforçateurs primaires, il peut surtout permettre d’obtenir une quantité presque illimitée de renforçateurs secondaires comme le prestige, l’attention, l’approbation, le statut ou le pouvoir.

Par conséquent, une propriété particulière des renforçateurs secondaires, et encore plus de l’argent, est qu’ils perdent moins vite leur valeur de renforcement par rapport aux renforçateurs primaires : si l’on demande à des animaux d’effectuer certains exercices pour obtenir de la nourriture, ils cesseront leurs activités dès qu’ils n’auront plus faim. Par contre, on a pu constater que les chimpanzés avaient tendance à accumuler leurs jetons en plastique quel que soit leur état de privation alimentaire. C’est pour cette raison que certaines personnes accumulent de l’argent, même si tous leurs besoins sont satisfaits, dans le seul but d’en posséder.

C’est donc par un mécanisme d’association entre des besoins vitaux et des comportements ou biens a priori inutiles, que se forment des besoins de possession qui n’existaient pas a priori. C’est cette association qui nous donne la « sensation » que des biens nous sont nécessaires. Ce mécanisme est donc le fruit d’un apprentissage. C’est ce que l’on appelle, en d’autres termes, un conditionnement du besoin. Il est inhérent aux êtres vivants, et par conséquent, il est difficile d’y échapper.

En comparaison, dans les sociétés dites primitives, celles qui n’ont « rien », il y a peu de besoins appris, en dehors de ceux qui permettent la survie du peuple.

Le film suivant illustre avec ironie la façon dont l’argent contrôle nos comportements. Il s’agit de "L'île aux fleurs", un court-métrage documentaire réalisé en 1989 par Jorge Furtado :

 

Sources :

Clément, C. (2013). Conditionnement, apprentissage et comportement humain. Dunod.

Seron, X. Lambert, J. L. et Van der Linden, M. (1977). La modification du comportement. Dessart et Mardaga.

Skinner, B. F. (2008). Science et comportement humain. In Press.

Trudel, G. (1980). Thérapie de milieu en institution psychiatrique. Les Presses de l’Université du Québec.