« D’où vient l’échec de l’enseignement ? »

Robin Hutton

« D’où vient l’échec de l’enseignement ? » est une question que pose le psychologue américain B. F. Skinner dans son livre La révolution scientifique de l’enseignement 1.

Dans ce livre écrit il y a déjà plus de 40 ans, Skinner présente quelques réflexions critiques sur les méthodes éducatives traditionnelles qui semblent encore pertinentes aujourd’hui. Ces critiques concernent principalement la question des méthodes aversives utilisées par le système scolaire, le problème de l’enseignement en groupe, et d’une façon générale, la mauvaise utilisation par l’école des lois de l’apprentissage.

- Les méthodes aversives utilisées par le système scolaire :

« La plupart des enseignants sont des gens pleins de bonne volonté. Ils ne désirent pas menacer leurs élèves, et pourtant ils se surprennent à le faire. La plupart des élèves eux aussi sont pleins de bonne volonté. Ils souhaitent un bon enseignement, mais ils ne peuvent se forcer eux-mêmes à étudier. Pour des raisons dont ils n’ont probablement pas pris conscience, ils sont en révolte ».

Il y a une centaine d’années, les élèves apprenaient leurs leçons pour échapper à la menace de la férule du maître (la férule est une palette de bois, utilisée à l’époque pour frapper les écoliers qui commettaient des erreurs). Aujourd’hui, les châtiments corporels ont disparu de l’enseignement, mais les modes de contrôle éducatif restent encore essentiellement aversifs : on a simplement remplacé un type de punition par un autre. Ainsi, les élèves continuent à travailler pour échapper à la menace d’évènements punitifs mineurs comme le mécontentement de l’enseignant, les critiques ou moqueries des autres élèves, les mauvaises notes, l’avertissement aux parents, les retenues, ou encore, plus ironique, les devoirs supplémentaires à faire à la maison (on se sert du travail comme d’une punition, tout en souhaitant le rendre attractif !).

Pour Skinner, même si ces procédés sont moins contestables que les châtiments physiques, leur structure est la même : « l’élève passe une grande partie de sa journée à faire des choses qu’il n’a pas envie de faire et il les réalise en grande partie pour éviter des conséquences désagréables ». Pour s’en convaincre, il suffit de demander à un enseignant de quitter sa classe quelques instants ; si ses élèves s’arrêtent de travailler, c’est que le départ de l’enseignant représente la levée d’une menace.

Mais malgré le contrôle aversif, l’élève trouve d’autres moyens d’échapper au travail : il devient paresseux, trouve des prétextes pour s’absenter, ou plus subtile, n’est plus attentif, ou devient inactif. Pour d’autres élèves, la fuite consistera en une contre-attaque caractérisée par de l’impertinence voire de l’agressivité physique envers l’enseignant. Plus généralement, l’anti-intellectualisme ne serait pour Skinner souvent rien d’autre qu’une attaque générale contre tout ce que l’éducation représente.

D’un point de vue des lois de l’apprentissage, les méthodes aversives ont plusieurs inconvénients. Tout d’abord, elles impliquent des composantes émotionnelles comme la peur, l’anxiété, la colère, voire l’agressivité. Même lorsqu’on les utilise modérément, ces pratiques interfèrent donc sur les relations entre enseignants et élèves. Ensuite, pour apprendre les bons comportements à un élève, il ne suffit pas de le punir et de l’empêcher de ne rien faire (« on ne donne pas à l’élève de l’intérêt pour son travail en punissant sa paresse »). Et même s’il peut arriver parfois aux élèves de découvrir par eux-mêmes comment être travailleur, l’enseignement n’y sera pour rien. Enfin, les méthodes aversives ne permettent pas toujours aux bons comportements de se maintenir à long terme : « Un élève qui agit sous contrôle aversif risque de s’arrêter dès que ce contrôle aversif cessera ».

 « L’un des problèmes de la motivation de l’élève telle qu’elle est envisagée dans le système scolaire est que ce dernier ne peut se forcer lui-même à étudier ». En effet, en dehors d’une motivation intrinsèque au travail, si l’élève ne trouve pas de conséquences agréables dans son activité, il cesse tout simplement de travailler. Skinner suggère donc d’utiliser des conséquences motivantes au travail des élèves. Au regard des lois de l’apprentissage, l’utilisation de conséquences motivantes permet un apprentissage plus efficace et plus durable que l’utilisation de méthodes aversives.

Skinner admet que des conséquences motivantes existent déjà dans l’institution scolaire. Ainsi, parmi les éléments pouvant motiver l’élève à travailler, on peut citer par exemple la valeur sociale des études, l’intérêt financier, ou l’avantage d’une formation permettant d’accéder à une pratique professionnelle. Ces avantages viennent au terme de l’éducation. Or « l’ennui de ces avantages lointains est précisément qu’ils soient lointains. Aucun élève n’apprend à semer parce qu’il est récompensé par la récolte ». Pour un meilleur apprentissage, ce sont plutôt des conséquences motivantes immédiates et constantes qu’il faut privilégier, même si elles n’enlèvent pas leur utilité aux conséquences plus éloignées dans le temps.

- Problème de l’enseignement en groupe :

« L’inefficacité de notre système d’éducation provient en premier lieu de notre échec à trouver une solution au problème des différences individuelles. L’usage courant consiste à faire progresser au même rythme de vastes groupes d’élèves, soumis exactement aux mêmes matières, et atteignant les mêmes critères de promotion d’un degré à l’autre. La vitesse est adaptée à l’élève moyen. Ceux qui pourraient avancer plus vite perdent tout intérêt et perdent leur temps ; ceux qui devraient avancer plus lentement restent en arrière et perdent aussi l’intérêt ». Face à une classe souvent nombreuse, l’enseignant peut en effet difficilement dispenser une instruction adaptée au niveau de chaque élève. L’une des difficultés de l’enseignement consiste alors à aménager une progression adaptée à la fois aux plus faibles et aux plus forts.

Pour tenter de contourner ces obstacles, les travaux issus des lois de l’apprentissage ont proposé une instruction dite « programmée ». La technique de l’enseignement programmé correspond à une structuration et une présentation de la matière à enseigner. Elle vise non seulement à un usage efficace des conséquences du travail de l’élève, mais aussi à individualiser au maximum l’enseignement. Chaque élève travaille à son rythme et aménage son programme de travail à sa mesure.

Cette perspective adoptée par Skinner est donc soucieuse de l’adaptation de l’enseignement aux particularités de chacun. Un système favorable à la diversification des individus qui « révèle et favorise les différences innées originales ». Un système défendu par Skinner, pour qui « une politique qui vise à la vigueur de la culture doit encourager la nouveauté et la diversité ».

L’enseignement programmé s’est principalement développé aux Etats-Unis, Freinet étant l’un des rares pédagogues français à s’y être intéressé. C’est à partir de la fin des années 50 que des expériences ont été réalisées pour évaluer l’efficacité de cet enseignement. Ces expériences ont conclu à un gain d’efficacité et une diminution des temps d’apprentissage. Mais le relatif succès de l’enseignement programmé a rapidement diminué en même temps que la psychologie de Skinner a été de plus en plus critiquée.

1. Skinner, B. F. (1968). La révolution scientifique de l’enseignement. Bruxelles : Dessart.