Sommes-nous tous conditionnés ?

99 francs Jan Kounen

« Le mot conditionnement est chargé, dans l’usage courant, de connotations négatives » (Marc Richelle, 1977).

Dans le langage courant, un individu conditionné voit en effet ses opinions, ses goûts et ses comportements déterminés par une influence externe. L’homme conditionné est manipulé par la société de consommation, le gouvernement, les médias qui font de lui un homme asservi. En somme, le conditionnement est mal vu car il nuirait à la liberté de l’être humain. Illustration dans cet extrait du film 99 francs de Jan Kounen (2007) :

A priori, le comportement d’achat d’un yaourt par cette "ménagère de moins de 50 ans" semble conditionné par la publicité. En réalité, les mécanismes à l’origine de nos comportements sont plus subtils et méritent quelques éclaircissements.

Ce sont les écoles de psychologie de l’apprentissage qui, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, ont mis en évidence les mécanismes du conditionnement. On doit principalement ces découvertes aux travaux de Pavlov et de B. F. Skinner qui se sont interrogés sur la manière dont un comportement pouvait être appris. On distingue deux types de conditionnements, soit deux apprentissages différents :

1. Le conditionnement répondant

Le physiologiste Russe Pavlov, tout d’abord, a mis en évidence un 1er type d’apprentissage par conditionnement dit répondant. Ses expériences sur le chien sont assez bien connues aujourd’hui, elles consistent à provoquer la salivation de l’animal au seul son d’une cloche. Explications : l’ingestion de nourriture est un stimulus qui entraîne une salivation chez tous les individus d’une même espèce (cela aide à la digestion des aliments). La salivation est donc un comportement réflexe inné, tout comme les changements de rythme cardiaque en réponse aux changements de température, ou encore la saisie chez le nourrisson provoquée par la stimulation de la paume de la main. Cette relation entre un stimulus et un réflexe est considérée comme un héritage génétique utile à notre survie. Mais revenons au chien de Pavlov. Contrairement aux aliments, le son de la cloche ne déclenche pas de salivation a priori, on dit que c’est un stimulus neutre. Mais si l’on fait précéder à plusieurs reprise l’administration de nourriture d’un son de cloche, ce son devient capable à lui seul de provoquer la salivation du chien, malgré l’absence de la nourriture.

Pavlov

On dit que la salivation du chien déclenchée par le son de cloche est un comportement appris par conditionnement répondant. Dans notre quotidien, les exemples d’un tel apprentissage sont nombreux : frissonner lorsque l’on voit de la neige ; avoir une accélération de son rythme cardiaque quand on réécoute une musique entendue lors d’un premier rencard ; avoir la nausée en sentant un alcool qui nous a fait vomir lors d’une précédente cuite ; se boucher les oreilles en voyant quelqu’un allumer un pétard ; baisser ses paupières avant d’ouvrir ses volets un matin d’été ensoleillé ; l’enfant qui ri avant que la main de l’adulte lui touche le ventre pour le chatouiller, etc.

2. Le conditionnement opérant

Il existe un 2ème type d’apprentissage, découvert par le psychologue américain Skinner. Il s’agit de l’apprentissage par conditionnement opérant. Il stipule qu’un organisme apprend à partir des conséquences de ses comportements sur l’environnement. Ainsi, les conséquences de nos comportements modifient leur fréquence d’apparition dans le futur. Cette fréquence augmente si les conséquences sont appétitives (on parle de renforcement), et elle diminue si les conséquences sont aversives (on parle alors de punition). Pour le dire autrement, la cause d'un comportement, c'est sa conséquence.

Le conditionnement opérant se réfère donc aux effets sélectifs des conséquences sur nos comportements. Il s’agit là d’un concept parallèle à la théorie de la sélection naturelle de Darwin : à l’échelle humaine, les comportements produisant les conséquences les plus favorables sont sélectionnés et « survivent ».

Un exemple de renforcement :

Prenons un autre exemple : au volant de votre voiture, lorsque le feu passe au rouge, vous vous arrêtez. Contrairement à un conditionnement répondant, ce n’est pas seulement le feu rouge qui provoque votre freinage. En réalité, le feu rouge a acquit cette capacité de contrôle de votre freinage car il a été associé dans le passé à certaines conséquences. Ainsi, vous freinez surtout pour éviter un accident ou une contravention.

Autre exemple : si vous laissez sonner un téléphone à côté d’une personne qui n’en a jamais vu ni entendu de toute sa vie, elle orientera éventuellement sa tête vers cet objet curieux, mais elle ne décrochera jamais. Ce n’est donc pas seulement parce que le téléphone sonne que l’on décroche, mais surtout parce que le comportement de répondre a été suivit dans le passé par une communication avec un interlocuteur. Ceci explique que vous ne décrochiez pas votre téléphone lorsqu’un connard vous appelle.

Le feu rouge, la sonnerie du téléphone, les panneaux de limitation de vitesse ou tout autre signal qui précède vos comportements ne sont donc pas toujours suivis du même effet. En réalité, ces signaux ne servent qu'à vous rappeler ce qui peut ou non vous arriver en vous engageant dans le comportement. C’est l’histoire personnelle que vous entretenez avec les conséquences de vos comportements qui va déterminer votre probabilité d’action.

Ainsi, la vision du yaourt dans le supermarche ne déclenche pas de comportement d’achat à la manière d’un réflexe. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la fréquence d’un comportement d’achat est bien évidemment plus importante en présence d’un stimulus publicitaire plutôt qu’en son absence. Cependant, ce qui détermine l’achat, c’est principalement l’interaction entre l’histoire personnelle de la « ménagère de moins de 50 ans », sa rencontre avec le produit et les conséquences associées.

Sommes-nous tous conditionnés ?

Pour de nombreux spécialistes des apprentissages, l’ensemble de notre répertoire comportemental est issu uniquement de ces deux types de conditionnement. Nos goûts, nos pensées, nos émotions seraient tous appris par conditionnement, depuis notre naissance et jusqu'à notre mort. Qu’on le veuille ou non, tous nos comportements seraient donc conditionnés selon un mécanisme inhérent à l'être humain dont on ne peut se soustraire. Les connotations négatives attribuées au conditionnement dans le langage courant apparaissent alors infondées et l'idée qu'un conditionnement par les médias nuirait à nos libertés serait un pur fantasme : dans une telle conception des apprentissages il n'y a en effet pas de libre arbitre possible, chacun de nos comportements étant soumis au déterminisme.