L’ouverture d’une « salle de shoot » à Paris : la science pour aider à se faire une opinion ?

alpha du centaure

Matignon a annoncé l’expérimentation prochaine d’une « salle de shoot » à Paris. Il s’agira d’un lieu de consommation de drogues, géré par des professionnels de santé et pouvant accueillir les toxicomanes les plus précaires venant consommer leurs propres produits. Le lieu fournira des seringues propres et assurera un encadrement médical.

L’ouverture de ce centre d’injection supervisé fait bien sûr polémique. État des lieux des principales opinions :

Pour les opposants au projet, il s’agirait d’un message de laxisme adressé par le gouvernement qui légitimerait la consommation des drogues dures. Ce projet risquerait également de provoquer une augmentation de la consommation des drogues dans le pays.

Selon les partisans de ce projet expérimental, l’état de santé des consommateurs pourrait être amélioré. Il s’agirait également d’un moyen d’établir un lien social facilitant la mise en place d’un traitement et l’aide à la réinsertion. De plus, le centre permettrait de diminuer les troubles à l’ordre public.

Pour se faire une opinion la plus objective possible, il est souvent recommandé de faire appel à l’outil scientifique car il est de haute fiabilité. Quelques éléments généraux de compréhension à ce sujet :

Il est classiquement fait appel aux méthodologies de la science pour objectiver les effets d’une mesure sanitaire sur les populations. C’est ainsi ce que promeut la Déclaration de Vienne dont l’objectif est d’améliorer la santé et la sécurité communautaires par la prise en compte de preuves scientifiques dans les politiques sur les drogues illégales. Or, actuellement, nous disposons d’au moins deux éléments de réflexion sur le sujet et qui relèvent d’une méthodologie scientifique : une expertise de l’INSERM datant de 2010 et un rapport de l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, datant de 2004. Ces deux documents sont des revues de littérature, c’est-à-dire qu’ils dissèquent, synthétisent et organisent une collection d’études antérieures s’intéressant à l’impact des centres d’injection sur certains comportements. Ces rapports s’appuient sur des recherches réalisées, pour la plupart, dans les années 1990 et 2000 et qui concernent plusieurs pays (notamment la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Australie et le Canada). Les principaux éléments analysés dans ces différents travaux sont le type de population fréquentant ces salles de consommation, la santé (hygiène et réduction de la consommation), l’ordre public et la criminalité. Certaines conclusions se dégagent de ces rapports, notamment qu’il n’existe pas d’éléments suggérant que ces lieux inciteraient à la consommation de nouveaux usagers, ou qu’ils entraîneraient une augmentation de la criminalité. Les salles de consommation contribueraient également à améliorer la santé somatique et psychologique de ses utilisateurs et elles seraient utiles pour l’amélioration de l’ordre public.

Néanmoins, les auteurs de ces rapports nous rappellent les limites de leurs travaux. D’une part, il n’est pas évident de mesurer l’impact des salles de consommation sur la santé ou l’intégration sociale, dans la mesure où celles-là ne sont pas les seuls moyens par lesquels des changements de comportements peuvent opérer. D’autres variables dites « confondues » peuvent en effet intervenir et empêchent bien souvent de conclure à des liens de cause à effet (c’est pourquoi de telles études sont dites souvent « corrélationnelles »). D’autre part, les résultats obtenus pour ces recherches concernent des pays dont la situation n’est souvent que très peu comparable à la France, notamment en ce qui concerne les modes de prise en charge des populations toxicomanes (par exemple, notre pays propose déjà des centres de soin pour ces malades).

Malgré l’existence de travaux scientifiques concernant les effets d’une telle installation sanitaire dans d’autres pays, il est donc difficile de trancher le débat sur un projet semblable en France. Ces éléments de réflexion nous permettent en effet difficilement de prédire les effets d’une salle de consommation de drogue sur les personnes toxicomanes dans notre pays. Néanmoins, l’expérimentation étant déjà confirmée par le gouvernement, il importera d’en proposer une évaluation rigoureuse et bien définie pour comprendre l’impact de ce lieu de consommation sur les comportements (c’est d’ailleurs l’un des objectifs que se fixe toute démarche expérimentale). Et c’est seulement par l’utilisation d’une méthodologie scientifique que nous pourrons obtenir les résultats les plus objectifs permettant de contrôler au mieux les effets relevant à la fois du sanitaire et du social.