Chevènement refuse de "fermer sa gueule"

A 73 ans, le sénateur du Territoire de Belfort –sans l'appui duquel François Mitterrand n'aurait jamais pu prendre le contrôle du PS au Congrès d'Epinay de… 1973- continue de jouer les "enfants terribles" de la gauche. Il avait soutenu cette année le candidat Hollande : il l'invite aujourd'hui à cesser "d'enflammer la France avec des questions marginales". Visés : le "mariage pour tous" et le droit de vote des étrangers aux élections municipales.

Pourfendeur de l'Europe "libérale", des communautarismes et de la légalisation du cannabis, avocat de l'Etat, de la laïcité, du parc nucléaire français et de la fermeté républicaine, le souverainiste de gauche Jean-Pierre Chevènement est resté célèbre pour sa formule à l'emporte-pièce : "Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne". Et cela n'a pas été qu'une formule puisqu'il l'a mise plusieurs fois en application.

En dernier lieu lorsque, ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin, il avait été désavoué par ce dernier dans la politique répressive qu'il jugeait indispensable de mener en Corse. Pourtant, le "Che", comme on le surnomme, n'allait pas jusqu'à parler publiquement de "mafias" comme le fait aujourd'hui Manuel Valls. Un Chevènement qui laisse entendre que, sur plusieurs dossiers, il aura simplement eu raison trop tôt. Par exemple quand on lui avait reproché de parler de "sauvageons" lorsqu'il est partout question aujourd'hui de "voyous".

La dissidence, le "Che" l'aura poussée à l'extrême en se portant candidat à l'Elysée en 2002. Lionel Jospin lui reproche aujourd'hui encore de l'avoir fait perdre, avec ses 5,33% de suffrages exprimés qui lui auraient barré la route du second tour. Mais il aurait suffi à l'époque que la radicale de gauche Christiane Taubira, elle aussi candidate, se retire pour que Jospin bénéficie du petit "plus" qui lui aurait permis de devancer… Jean-Marie Le Pen, donc d'affronter Jacques Chirac.

Revenu dans le giron de la gauche, le turbulent Chevènement –à sa façon, une figure morale de son camp- fait aujourd'hui à nouveau des siennes. Dans l'interview qu'il accorde au "Monde", l'ancien ministre ne manifeste pas pour la gestion Hollande un enthousiasme considérable, mais il ne regrette pas une seconde d'avoir voté et fait voter pour lui : "J'ai apporté mon soutien, dit-il sobrement, les yeux ouverts". Il milite pour un réaménagement de l'euro et "un système monétaire commun". A défaut, lance t-il avec cruauté, "nous en resterons aux soins palliatifs".

En tout cas, aux yeux du président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC), ce n'est vraiment pas le moment, face à de tels enjeux, pour faire perdre leur temps aux Français –et pour les diviser- avec des questions… "marginales" ! "La direction du PS, dit-il ainsi, sait que le droit de vote des étrangers aux élections locales ne se fera pas". Sous entendu : et pourtant elle feint le contraire, et mène campagne en ce sens. Mais Jean-Pierre Chevènement concentre le tir, de façon plus inattendue, sur le "mariage pour tous" : "Je continue de penser qu'un enfant doit avoir un père et une mère ou, au moins, l'idée d'un père et d'une mère, et qu'on ne peut rompre sans alimenter le désarroi social avec des repères fondamentaux".

Concrètement, Chevènement indique que ses amis et lui soit voteront contre le texte gouvernemental soit, au mieux, s'abstiendront. Le coup est sévère : voici Hollande et Ayrault accusés ni plus ni moins d'alimenter le "désarroi social". Un coup porté alors que le président de la République n'est pas sans se poser, à titre personnel, bien des questions sur une réforme qui ne correspond pas exactement à son histoire, à son parcours et peut-être même à ses convictions. Sacré Chevènement !