Ô Divin… dans l’assiette, pas dans la salle !

Filet de veau, légèrement fumé au bois de genévrier, carottes et compotée de pamplemousse.

Découvrir un nouveau talent est toujours un moment enthousiasmant. Mathieu Moity, chef de l’ Ô Divin, restaurant de poche sur les hauts des Buttes-Chaumont à Paris, en est pétri. Il offre de vrais moments de plaisir, quelques peu gâchés, cependant, par un service franchement chaotique.

Il faut trouver Ô Divin dans le dédale des petites ruelles d’un quartier niché entre les Buttes Chaumont et la Place des Fêtes, ancien bastion populaire devenu bobo par la force montante de l’indice immobilier.
Ô Divin est un endroit peu conventionnel, la salle du restaurant, minuscule, s’ouvre sur la courette d’un bâtiment qui fût autrefois un studio d’enregistrement fort prisé des stars : Rolling Stones, Bowie, pour les “GB’s”, Daho, Gainsbourg pour les “frenchys”… Aux beaux jours, Ô Divin trouve dans cette cour un espace bienvenu pour élargir ses murs.
Depuis quelques mois - un an bien tassé - un jeune chef, Mathieu Moity, est venu booster une restauration jusqu’alors typée tapas. Et, bien sûr, ce garçon ne va pas faire les choses à “Moity” (oui, je sais…). Tout va changer de fond en comble : produit, style, technique, imagination, créativité, pour faire aujourd’hui d’Ô Divin, une des tables les plus intéressantes du moment.
Penchons-nous un instant sur le parcours de Mathieu, car si les études ne font pas les génies, il est cependant intéressant d’observer que Michel Bras, Inaki Aizpitarte, René Redzepi (il a fait des stages à Noma, nous a confié Naoufel Zaïm, le patron des lieux), ont contribué à remplir le cartable du jeune homme. A moins d’être particulièrement autiste, de telles rencontres laissent de profondes influences, dont il faut savoir s’inspirer sans perdre de vue son propre chemin. Et tout porte à croire que Mathieu Moity sait faire ça.
Le menu du soir (40€) change chaque semaine. Un amuse-bouche hardi ouvre le bal, avec un tronçon de rouget-grondin associé à des betteraves rouges. Déjà de précieuses indications sont fournies : les cuissons sont sur le fil, tendues, exigeantes, juste effleurées, laissant en bouche le sentiment des saveurs encore crues. Les accords s’envolent à la recherche d’équilibres inédits, improbables, suscitant une résonnance atonale, au sens musical du terme.
Le premier plat, il y en a trois avant le dessert, est un remarquable instantané de saison. Un filet de lieu jaune de ligne, cuit au cordeau, assorti de tagliatelles de courgettes jaunes, d’une tombée de haricots verts et de quelques cerises burlat. Le tout irrigué d’un jus de haricots verts à la fraîcheur merveilleuse, coloration intense de l’assiette sur laquelle l’incarnat des burlats se détache en somptuosité.
Succède une pièce de veau, légèrement fumée au bois de genévrier, que Mathieu Moity associe à la carotte présentée au plus juste de sa cuisson, ainsi qu’à une étonnante purée de pamplemousse où entrent les zestes et le blanc de la peau, compotée parfaitement maîtrisée sans arrogances acides, sans raideurs amères. Un “dashi” de cresson vient ponctuer ce plat virtuose, d’une modernité cinglante, tant sur ses cuissons que ses textures à la fois profondément moelleuses et décisivement croquantes.
Troisième étape, apparemment plus classique : un magret de canard simplement grillé, mais aiguillonné par un jeu d’acidités qui tient à distance la lourde approche huileuse du molleton graisseux, indissociable de la chair, si maigre… Un magret conduit tout en rigueur, en sévérité même, pour ne donner de lui que le plus pur de son âme. Un jansénisme en réaction à l’absolutisme lipidique.
Le dessert ne manquait pas d’adresse dans le mariage de l’abricot et d’un caramel de chocolat blanc.
Reste que ce superbe travail était, ce soir-là, fort peu mis en valeur par un service désorganisé et chaotique, “une table de 15 personnes que l’on n’aurait pas dû accepter”, nous a-t-on dit… soit. Mais, cela n’excuse pas une désinvolture parfois irritante, comme cette phrase dite à un jeune couple qui attendait le dessert depuis près de vingt minutes : “Tout vient à point !”…
Le service semble être resté au niveau d’un bar à Tapas, ce que fut naguère Ô Divin. La confusion des genres n’est pas toujours une réussite, sans être un adepte des ambiances guindées, le travail de Mathieu Moity mérite à la fois plus de sérénité et plus de précision lorsqu’il est présenté en salle, et en tout cas un environnement à la hauteur de son talent.

L’adresse : Ô Divin - 35, rue des Annelets - 75019 Paris - Tél. : 01 40 40 79 41