Premiers pas… Jérémy Czaplicki au château de Berne

Ils sont toujours un peu émouvants les premiers pas. On hésite, on tâtonne, on s’inquiète. Les certitudes s’effilochent. Il faut avancer dans le vide. C’est la loi du genre…

Jérémy Czaplicki n’est pourtant pas un débutant. A 34 ans, il vient de quitter la place Vendôme et les cuisines du Park Hyatt, où il secondait Jean-François Rouquette. Ensemble, ils avaient conquis une étoile Michelin puis quatre toques au Gault & Millau.

Après sept années de mariage, le temps de la réflexion est venu. "Je cherchais un endroit à moi, explique Jérémy, où il me serait donné d’exprimer ma cuisine sur plusieurs registres, à la fois gastronomique mais également plus simple, plus directe, dans un esprit brasserie, voire bistrot."

La place est désormais trouvée, ce sera le Château de Berne, magnifique domaine niché dans l’arrière pays varois, entre Lorgues et Flayosc. 500 hectares de vignes, d’oliviers, de lavandes, de maquis de chênes verts ; propriété, il y a fort longtemps, de Saint Bernard, fondateur de l’ordre des Cisterciens, qui le tenait du Comte de Toulouse Raymond V.  Après Bernard et Raymond, c’est aujourd’hui un homme d’affaires britannique qui est le maître des lieux.

Depuis ce printemps, Jérémy découvre son nouveau territoire. La liberté est fascinante, mais l’horizon des possibles peut donner le vertige. C’est là qu’il faut savoir tenir sa boussole bien en main. Ses créations seront-elles estampillées Provence ? "Qui fait de la cuisine provençale aujourd’hui dans le Var ? interroge-t-il. On trouve une cuisine moderne, connotée japonaise, ou alors on est sur un travail consensuel. Oui, je vais m’appuyer sur les légumes et les fruits du pays, sur l’huile d’olive, sur les laitages, qui sont aussi une des bases de la cuisine méditerranéenne, ne l’oublions pas. Mais je me sens libre d’apporter une vision personnelle à cette palette de saveurs bien cernées."

Du légume, seulement du légume

Ce qui est dangereux, quand on fait ses premiers pas, c’est de les faire trop rapidement. Avoir envie de courir quand on commence à marcher… Sans doute le meilleure moyen de se ramasser. En cuisine, cela se traduit par… trop de cuisine. On veut se rassurer et on se perd. On ajoute un peu de ceci, genre Asie, un peu de cela, genre technique, on fait mousser, on déstructure, on empile les textures, les saveurs, et au final on fait un joli Gloubi-Boulga bien contemporain.

Jérémy résiste à cette tentation. Ses assiettes sont structurées le plus souvent autour des légumes. Il dispose d’un vaste potager sur le domaine et trouve auprès de producteurs voisins des produits au top : courgettes jaunes et grises, asperges vertes et violettes, tomates jaunes, oranges, vertes et rouges, févettes… Et des herbes ciboulette, sarriette, agastache…

Souvent, face aux légumes, le chef hésite. Du légume, seulement du légume, semble-t-il s’effaroucher. Alors, il cuisine, il fait le chef… L’art, c’est l’oubli de soi, c’est laisser l’expression, les sentiments fuser d’une saveur nue, tout juste habillée d’un voile d’huile d’olive, d’un trait d’assaisonnement. Laisser la place au rebond des parfums, aux dialogues serein des produits. Jérémy sait parfaitement faire vibrer sa composition. Son touché est juste, certain hâtivement dirait féminin, comme si la douceur n’était réservée qu’aux femmes. Il a des égards pour le végétal, voilà tout.

Les courgettes voisinent avec les asperges violettes, croquantes, exposées au premier plan. Une fine feuille de pâte fraîche apporte sa mâche gourmande en second plan. Le tout est tendu par les notes poivrées du basilic nain et une petite crème de parmesan reggiano donne une ligne de fuite, une longueur en bouche.

La selle d’agneau de Sisteron est gentiment bousculée par la vivacité d’un chutney de tomates vertes, un caillé de brebis façon "Raïta" (à l’origine, une sauce indienne qui permet d’adoucir le feu des épices, ici revisitée et mariée avec un kumquat) sert de condiment. Une compression de semoule est là pour tenir au corps. Manger est important…

Plats lisibles où jamais le légume ne se noie dans l’inquiétude du cuisinier. La maîtrise est là.

Le grain est semé, il ne lui reste plus qu’à germer et s’épanouir. Le château de Berne a trouvé son chef. Premiers pas réussis !

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Château de Berne (Relais & châteaux) - chemin de Berne - 83510 Lorgues - Tél : 04 94 60 48 88

Restaurant gastronomique l'Orangerie : menus 49€, 56€ et 79€.

Brasserie La Bouscarelle : Menu "Marché de Provence" en 2 service 25€ (entrée+plat ou plat+dessert), en 3 services 32€ (entrée+plat+dessert), en 4 services 39€ (entrée+plat+fromage+dessert)

Le bistrot : formules entre 10 et 19€.