Comment sauver la nature, et pourquoi cela n'arrivera pas

Mauvaise nouvelle

Il y a du pétrole sous le sol du parc national des Virungas, plus ancien parc national d'Afrique, classé patrimoine mondial de l'UNESCO, un paysage somptueux qui contient des espèces menacées, en particulier le gorille des montagnes. On ne sait pas encore si celui-ci est exploitable, il faudrait pour cela faire des forages qui conduiraient l'UNESCO à retirer son statut au parc; pour l'instant, le gouvernement de République Démocratique du Congo ne semble pas décidé sur la marche à suivre. Mais le "redécoupage" du parc pour permettre l'exploitation pétrolière est ouvertement envisagée.

A l'ouverture de la COP21, voici un vrai cas pratique. Il y a une ressource précieuse dont l'exploitation détruirait un patrimoine naturel irremplaçable, sans compter les conséquences climatiques de l'utilisation du pétrole; Elle se trouve dans l'un des pays les plus pauvres et troublés de la planète, la République Démocratique du Congo. Peut-on trouver une solution pour préserver l'environnement sans compromettre l'économie du pays? La bonne nouvelle, c'est que la solution existe. la mauvaise, c'est qu'elle ne sera certainement pas adoptée.

L'exemple de l'Equateur

Le parc de Yasuni, en Equateur, est la zone de biodiversité la plus riche du monde, et contient aussi deux des derniers groupes humains vivant sans contact avec la civilisation. Ce parc contient aussi, malheureusement, environ 800 millions de barils de pétrole,représentant une valeur d'environ 7 milliards de dollars, une somme considérable pour un pays lourdement marqué par la pauvreté, et dont le pétrole est une source importante d'exportations. En 2007, le président du pays, Rafael Correa, avait surpris le monde avec la proposition suivante. Son pays s'engageait à renoncer à exploiter le pétrole dans ce parc contre le versement par la communauté internationale de la somme de 3.6 milliards de dollars, soit la moitié de ce que le pays recevrait en exploitant ce pétrole.

Aussitôt des ONGs ont cherché à collecter les fonds nécessaires; l'initiative a bénéficié de l'appui de stars comme Leonardo di Caprio ou Edward Norton. En 2009 les pays riches s'étaient engagés à verser collectivement 100 milliards de dollars par an aux pays pauvres dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Quel meilleur moyen de le faire que de protéger le parc de Yasuni, laissant le pétrole sous le parc plutôt que de le répandre sous forme de CO2 dans l'atmosphère? Cette démarche équatorienne peut un peu ressembler à du chantage - payez moi ou je flingue le parc naturel - mais les économistes y voient surtout le théorème de Coase en action.

En 2013, l'initiative a été abandonnée par le gouvernement Equatorien: en tout et pour tout, il n'avait été possible de collecter que 336 millions de dollars de promesses de don, sur lesquelles seulement 13 ont été effectivement versés; moins de 10% des 3.6 milliards attendus, en 6 ans d'efforts. Le président Correa a déclaré que la communauté internationale avait failli, et a décidé d'autoriser l'exploitation du pétrole sur 1% de la surface du parc. Des ONG du pays tentent maintenant de recueillir des signatures pour un referendum, espérant encore bloquer le processus. Mais les pays riches ont manqué une occasion unique.

Certes, l'initiative Equatorienne ne manquait pas de problèmes. Comment les fonds versés allaient-ils être utilisés? Comment éviter que le gouvernement ne décide d'exploiter quand même le pétrole après avoir reçu l'argent? Le pays accepterait-il que l'argent soit versé à un fonds extérieur chargé de son administration, à l'encontre de sa souveraineté? Ces problèmes étaient réels; mais ce n'est pas la première fois que l'on constate en matière d'environnement un grand décalage entre les discours et les pratiques.

On ne paiera pas pour sauver les gorilles

Et le même problème se pose avec le parc des Virungas au Congo. Pour le gouvernement du pays, la tentation d'extraire les ressources pétrolières est forte; le tourisme et les formes d'exploitation "écologique" du parc ont peu de chances de rapporter autant. La nature et la planète n'ont pas de prix, mais les préserver a un coût. De quel droit demander à l'un des pays les plus pauvres du monde de le supporter seul? Et comment imaginer, dans ce pays marqué par la corruption et de nombreux conflits, qu'une ressource reste dans un parc naturel sans attirer des convoitises?

Payer pour les Virungas poserait le même genre de problèmes qu'en Equateur, en pire; il est à peu près certain que les fonds seraient mal utilisés. Mais il serait possible d'abonder un fonds international, administré par une organisation Onusienne, qui verse une somme annuelle fixe au gouvernement Congolais éternellement, tant que le parc reste préservé. Ce serait d'autant plus intéressant de le faire maintenant qu'il y a incertitude sur la disponibilité du pétrole, ce qui limiterait les appétits. Cette situation est de toute façon appelée à se reproduire parce que cette configuration - un pays pauvre disposant de ressources, des pays riches avec conscience environnementale - se reproduira sans cesse.

Mais il y a bien plus de chances que la COP21 se termine par de grandes annonces et des discours très émouvants, dans lesquelles, on se congratulera autour de dixièmes de degrés sans trop se demander si les promesses seront réellement suivies d'effet; on versera même, qui sait, une ou deux larmes de crocodile sur la nature et le patrimoine de l'humanité qui s'éteint. Lorsqu'il s'agit de réellement préserver la nature, il y a un abîme entre les discours et les actes. Et en matière de préservation des espaces naturels et de la faune sauvage, la France, pays organisateur de la COP21, n'est pas franchement un exemple.