Révolutionnaire: les pauvres ont surtout besoin d'argent

Faire compliqué

L'ONU a présenté la semaine dernière un ambitieux programme de 17 objectifs, déclinés en 169 cibles, pour lutter contre la pauvreté et permettre un développement durable d'ici 2030. Cette liste fait suite aux objectifs du millénaire en 2000, qui se contentaient de 8 objectifs et 18 cibles: on n'arrête pas le progrès.

Il y a de bonnes raisons d'être sceptique sur ce genre d'annonce grandiloquente; avoir 169 priorités, c'est comme n'en avoir aucune. Les précédents objectifs du millénaire n'ont pas été atteints; ceux qui l'ont été l'ont surtout dû à la croissance en Chine et en Inde, qui a sorti des millions de personnes de la pauvreté, plus qu'aux politiques de développement.

Un peu comme l'Europe qui s'était fixée pour objectif d'être une économie sociale de marché hautement compétitive, ces annonces traduisent surtout la volonté de faire consensuel plutôt que de faire de réels choix politiques, et de pérenniser un système en évitant de s'interroger sur son efficacité.

Quand on peut faire simple

Depuis quelques années, une tendance révolutionnaire apparaît dans le domaine du développement : donner de l'argent aux pauvres.

Pourquoi est-ce révolutionnaire? Parce que l'idée du développement a toujours été que les habitants des pays pauvres manquent de "quelque chose" et que ce quelque chose doit être fourni par l'aide extérieure. Cela a pu être de "grandes choses" – des programmes d'infrastructures, des constructions de barrages, de routes ; la fourniture d'éducation et la construction d'écoles ; des soins médicaux sous des formes diverses. Il y a quelques années, la mode était aux moustiquaires contre le paludisme, ces derniers temps, ce sont plutôt les latrines.

Donner directement de l'argent aux personnes pauvres, sans lier ceci à quoi que ce soit (suivre une formation, acheter une vache, etc.) n'avait jamais été sérieusement considéré. Les pauvres manquent de self-control, ou de connaissances, était l'argument ; l'argent versé directement risque d'être gaspillé en dépenses somptuaires, à la satisfaction d'envies immédiates, un peu comme un enfant qui trouve une pièce de monnaie par terre.

Ce préjugé n'avait jamais été testé, jusqu'à il y a peu. Des chercheurs, comme Chris Blattman, ou les expérimentateurs du Poverty Action Lab, ont essayé le programme de développement le plus simple possible : donner une somme d'argent à des pauvres. L'étude pionnière a été menée en Ouganda : donner environ 400 dollars à des jeunes sélectionnés totalement au hasard, et les suivre (en les comparant à un groupe de contrôle n'ayant pas bénéficié du don) pendant plusieurs années.

Les effets ont été spectaculaires: la moitié d'entre eux avaient quatre ans après une activité professionnelle. Par rapport au groupe de contrôle, ils avaient plus d'actifs, travaillaient plus et avaient un revenu supérieur de 38%. L'effet a été d'autant plus marqué pour les femmes (qui ont encore plus de difficultés que les hommes à accéder au crédit dans de nombreux pays en développement). D'autres études ont confirmé ce résultat : donner tout simplement de l'argent aux pauvres, sans rien demander en même temps, fonctionne beaucoup mieux que de nombreux autres programmes de développement. Parce que cela ne demande aucune administration pour redistribuer, et ne nécessite aucun intermédiaire.

L'extension du don

Cette découverte a des conséquences considérables. Premièrement, elle met la pression sur les autres programmes de développement, pressés de montrer leur efficacité. Si tel programme coûte un million de dollars, est-on certain qu'il n'aurait pas été préférable de distribuer directement cette somme à deux mille bénéficiaires ? Certains programmes passent ce test (c'est le cas notamment de programmes de vaccination, ou d'élimination de parasites intestinaux), mais de nombreux autres ne le passent pas. Ce message ne plaît guère aux grandes bureaucraties du développement dont il menace l'existence, mais cette menace est salutaire.

Surtout, cette logique peut s'étendre à de nombreux domaines. Comment aider les réfugiés qui fuient les conflits et s'entassent dans des camps, les victimes de catastrophes naturelles ? En leur donnant de l'argent. C'est plus efficace que les programmes de fourniture de nourriture ou d'infrastructures, compliqués à administrer. La Croix Rouge a dépensé 500 millions de dollars après le tremblement de terre d'Haïti ; personne ne sait ce qu'est devenu cet argent (en tout, ce programme a permis de construire... 6 logements permanents !).

Cette logique pose aussi la question des systèmes de lutte contre la pauvreté dans les pays développés. Tous mettent en œuvre une forme de conditionnalité : aide au logement, bons alimentaires, allocations pour aller à l'école, etc. Et si tout simplement donner de l'argent était plus efficace ? Il semble que, même lorsque les dons sont faits aux populations de SDF, comportant de nombreux toxicomanes, ils sont bien utilisés.

Le poids des préjugés

Cette idée simple – les pauvres ont simplement besoin d'argent – a bien du mal à se diffuser. Elle va à l'encontre de nos préjugés : si les pauvres sont pauvres, c'est qu'ils doivent avoir un problème, une sorte de vice ; c'est l'erreur fondamentale d'attribution. On craint que de simples distributions d'argent aient des effets pervers – le revenu de base souffre des mêmes préjugés.

De nombreuses organisations et bureaucraties vivent en administrant diverses aides. De manière générale, nous attachons beaucoup plus d'importance à la satisfaction que nous apporte le fait d'aider qu'à l'efficacité réelle de cette aide.

En attendant, il existe des ONG qui transfèrent directement les dons, à l'aide des technologies de paiement qui se développent dans certains pays pauvres (comme le paiement par téléphone portable au Kenya), à l'exemple de GiveDirectly. Parfois, les idées les plus simples sont les meilleures.