Interdire les sacs en plastique pour sauver la planète?

Le sac plastique, pas fantastique?

Segolène Royal l'a annoncé vendredi: les sacs plastique jetables devraient être interdits dans les commerces à partir du premier janvier prochain, remplacés par des sacs réutilisables ou des sacs biodégradables. Il y aurait urgence pour sauver les océans, remplis de milliards de particules de plastique qui sont avalées par les animaux, provoquant une hécatombe dans la faune marine.

Le communiqué de presse ne se prive pas d'exagérer l'ampleur de cette décision, en indiquant que "17 milliards de sacs plastique sont consommés en France, dont 8 milliards finissent dans la nature". Outre que le chiffre de 17 milliards de sacs consommés en France est une estimation assez ancienne, les "8 milliards de sacs jetés dans la nature" - qui laissent à penser que les français jettent un sac plastique sur deux dans la nature, ce qui paraît énorme - est le chiffre pour l'Europe toute entière. En fait, seulement 1% des sacs utilisés en France finiraient dans la nature, soit environ 150 millions. Même si la France passait à zéro, cela représente moins de 2% du total européen : pas de quoi changer grand-chose.

On y trouve aussi le fait que les sacs plastiques "restent 400 ans dans la nature". Etant donné que le sac plastique a été inventé en 1965, personne ne sait ce qu'il advient du sac dans l'environnement pendant 400 ans (ou mille ans, comme l'affirme le gouvernement britannique).

Le coût de l'interdiction

Il faut bien commencer quelque part, direz-vous; interdire les sacs en plastique, c'est déjà cela de pris. Mais c'est oublier une conséquence familière de ce genre de décision à haut impact symbolique et médiatique (tout le monde sera au courant que la France et sa ministre sauvent la planète); les effets pervers.

Les sacs réutilisables ont aussi un impact environnemental. Une fraction d'entre eux finira aussi dans la nature, le seul intérêt étant qu'ils seront réutilisés. Mais comme ils doivent être plus solides, ou sont en d'autres matériaux, leurs émissions de gaz à effet de serre sont plus importantes. Selon certaines études, vous devrez réutiliser environ 200 fois un sac en coton, et trois fois un sac en papier, pour générer moins de carbone qu'avec un sac en plastique jetable. C'est possible, à moins que les sacs réutilisables ne soient laissés à prendre la poussière dans un coin.

Utilisés plusieurs fois pour transporter des aliments, les sacs réutilisables ont un autre inconvénient: les bactéries s'y accumulent, et prospèrent, bien au chaud dans le coffre de la voiture. En Californie, où les sacs plastique sont interdits depuis longtemps, on trouve des coliformes fécaux dans près de la moitié des sacs réutilisables. Qu'à cela ne tienne : pour éviter que votre sac de courses ne provoque votre prochaine gastro-entérite, il faut le laver régulièrement. Cela augmente encore un peu leur coût environnemental: il va falloir utiliser des détergents et de l'eau. Si vous utilisez un détergent écologique, vous constaterez vite que celui-ci n'est vraiment efficace qu'avec de l'eau chaude; votre consommation d'énergie, et vos émissions de gaz à effet de serre, vont augmenter.

A moins que la conséquence ne soit simplement d'inciter les consommateurs à préférer mettre dans leur sac des produits bien hermétiquement emballés... dans du plastique. Or, lorsque vous faites vos courses, le sac plastique qui contient vos achats ne constitue que 1% de votre impact environnemental; 7% provient des emballages des produits; tout le reste provient des produits eux-mêmes. Arrêter l'usage des sacs plastique réduira au mieux votre impact environnemental de manière imperceptible; et a de bonnes chances, au bout du compte, de l'augmenter.

Il faut enfin noter que tous les actuels producteurs de sacs plastique vont s'adapter à la diminution de demande qu'ils rencontrent; ils pourront utiliser leurs installations industrielles pour fabriquer d'autres objets en plastique, réduisant leur prix. Le plastique non consommé dans les sacs se retrouverait alors dans d'autres objets ou emballages dont le prix se mettrait à baisser.

Vraiment sauver la planète, c'est compliqué

Vous pouvez enfin dire que ces effets pervers sont possibles mais pas certains. Mais vous noterez que rien n'est prévu pour y réfléchir, pour essayer de mesurer l'impact réel de la décision d'interdiction sur l'environnement. Au lieu de cela, elle est défendue à grand renfort d'effets d'annonce et de chiffres exagérés. Cela n'incite guère à l'optimisme.

Le journaliste Prashant Vaze a tenté, pendant un an, de vivre en minimisant son empreinte environnementale, et en a fait un livre. Il avait constaté que la tâche est extrêmement complexe et contre-intuitive. La provenance des produits et l'obsession sur "l'achat local"? Contre productive. Les fleurs qui arrivent du Kenya par avion sont bien moins polluantes que celles produites en Hollande dans des serres chauffées au gaz naturel. Il est préférable pour la planète d'importer de l'agneau néo-zélandais, produit dans un pays au climat adapté et bien pourvu en énergie hydro-électrique, que d'acheter de l'agneau provenant du pré voisin, même issu de l'agriculture biologique (il vaudrait mieux, dans ce cadre, réduire considérablement sa consommation de viande rouge). Utiliser son lave-vaisselle est bien moins polluant que de faire sa vaisselle à la main. Le lait de votre tablette de chocolat, qui vient des vaches de la région, est bien plus polluant que le chocolat importé depuis des milliers de kilomètres; même chose pour le lait de votre cappuccino comparé au café. A Londres, les bus contiennent en moyenne 13 passagers, ce qui fait qu'ils émettent au bout du compte plus de polluants par passager transporté que les voitures. Etc, etc.

Face à une telle complexité, Les économistes préconisent de recourir au mécanisme des prix, à l'aide par exemple d'une taxe sur le carbone. Celle-ci permettrait, de manière décentralisée, à chacun de choisir le moyen qu'il juge le plus efficace et satisfaisant de réduire son impact sur la planète. On peut faire beaucoup de critiques à cette manière de penser. Mais pour l'instant, l'alternative est uniquement constituée de mesures à fort effet d'annonce, à l'efficacité douteuse, qui permettent aux politiques et aux citoyens de se donner bonne conscience, avec des effets nuls voire contre-productifs. Le tout au nom du "il faut bien faire quelque chose".

Il devrait être possible de faire mieux que cela.