Leçons économiques des élections britanniques

1L'austérité, un succès ou un échec?

Peu de sujets économiques ont fait couler autant d'encre que les politiques d'austérité budgétaire depuis 2010, avec la politique des conservateurs comme exemple majeur. Avec l'argument "il n'y a pas d'alternative, la Grande-Bretagne va devenir la Grèce" les conservateurs se sont lancés en 2010 dans une politique de réduction des dépenses publiques pour diminuer le déficit et l'endettement. En pleine récession, pas loin du pire de la crise économique en Europe, cela semblait la recette pour un désastre. 5 ans plus tard, que peut-on en dire?

Pour les uns, le succès électoral des conservateurs n'est que la confirmation du succès de l'austérité budgétaire, que l'on lit dans le bon état de l'économie britanniqueLa croissance reprend et est la plus élevée d'Europe; le chômage diminue et l'économie est pratiquement revenue au plein emploi; le déficit et la dette publique sont en diminution.

Pour les autres, l'histoire de l'économie britannique au cours des 5 dernières années est la blague du fou qui se donne des coups de bâton sur la tête parce que ça fait du bien quand ça s'arrête. Le PIB total britannique est à peine revenu à son niveau de 2008; comme la population a augmenté dans le même temps, cela signifie que le PIB par habitant est encore plus bas qu'à l'époque. Depuis le plus bas de la récession, la reprise a été la pire de l'histoire, pire même que pendant la crise des années 30. Résultat, il a fallu de considérables efforts d'austérité, aux conséquences sociales désastreuses - pour au bout du compte se retrouver avec un déficit public plus élevé qu'en France. La reprise n'est venue que parce que l'austérité a fini par être tempérée par des baisses d'impôts - mais celles-ci ont surtout fait grimper les prix immobiliers. Au bout du compte la reprise économique britannique a été faible, et très déséquilibrée en faveur des plus riches, dont le patrimoine a augmenté de 64% tandis que celui des plus pauvres diminuait de 57%. Le succès des conservateurs ne repose selon eux sur aucune réalité économique, mais sur des mythes inlassablement distillés par des médias contrôlés par quelques ploutocrates.

Qui a raison, qui a tort? Comme toujours, les expériences économiques ne sont pas tranchées, ce qui permet à chacun de voir ses a priori confirmés. Les résultats britanniques permettent à chacun de dire qu'il avait raison depuis le début, ce qui est confortable à défaut d'être éclairant. Quelques éléments ressortent en tout cas.

2La politique monétaire, c'est plus important que la politique budgétaire

Le débat sur l'austérité budgétaire et ses conséquences néglige un élément : la politique monétaire menée par la banque centrale. Cela devrait pourtant être considéré comme le plus important, si l'on en croit les manuels économiques de base. Et le miracle de l'emploi britannique se trouve là; l'inflation cumulée depuis 2010 (11.5%, et pratiquement 5% en 2012) a réduit les salaires réels. Les salariés britanniques ont donc échangé des salaires plus bas pour moins de chômage : quoi que l'on pense de cette issue, elle ne constitue pas une performance miraculeuse, ou un effet positif de la politique du gouvernement britannique. On peut donner crédit aux conservateurs de ne pas avoir mis de bâtons dans les roues du gouverneur de la banque centrale (en déplorant l'inflation par exemple) mais il est probable que les travaillistes, au pouvoir, n'auraient pas fait différemment. La performance économique britannique confirme donc les manuels d'économie : la politique monétaire est centrale, la politique budgétaire secondaire.

L'austérité budgétaire a surtout été une histoire de marketing politique. Les conservateurs avaient pour objectif de réduire les dépenses publiques; ils l'ont présenté comme "il fallait corriger les errements du passé" et "nous devons nous serrer la ceinture et ne pas tirer sur la carte de crédit de la nation". C'est peut-être n'importe quoi, mais c'est un n'importe quoi qui marche. Ce genre de tactique n'est pas spécifique aux britanniques. L'expérience montre que tout le monde aime parler du déficit public, mais que tout le monde s'en moque en pratique. Pour les uns, "la lutte contre le déficit" n'est que le cache-sexe d'une volonté de réduire le poids de l'état dans l'économie; pour les autres, "il faut faire du déficit public pour soutenir l'économie" dissimule l'objectif inverse. Dans un monde idéal, on débattrait séparément du poids de l'état dans l'économie, et de la façon dont ce poids est financé; dans le monde réel, on préfère s'écharper sur l'austérité. C'est comme ça.

3Pour être réélu, les 6 derniers mois comptent énormément

Austérité budgétaire, PIB et revenus en berne : le bilan économique des conservateurs sur l'ensemble de leur mandat n'est pas brillant. La croissance économique moyenne du PIB total a été de 1% entre 2010 et 2015, contre 1.5% pour Gordon Brown au cours des 5 années précédentes, alors qu'il avait dû subir le plus gros de la récession entre 2008 et 2010. Présenté comme cela, le bilan des conservateurs aurait dû les chasser du pouvoir.

Mais ça ne marche pas comme cela. Le contenu des programmes, les petites phrases, les bilans, tout ce qui agite le landerneau des commentateurs politiques, ça n'a quasiment aucun impact sur les résultats des élections. Ce que montre l'analyse économique et politique des élections, c'est que les électeurs sont très court-termistes. Ils ne jugent pas une législature dans son ensemble, mais sont lourdement déterminés par l'évolution des revenus au cours des 6 derniers mois qui précèdent l'élection. Dès lors, un gouvernement qui cause une baisse des revenus de 10% en début de mandat, pour les faire remonter de 5% en fin de mandat, a plus de chances d'être réélu qu'un gouvernement sous lequel les revenus montent de 5% en début de mandat et diminuent de 1% en fin de mandat. La tactique consistant à se taper sur la tête pour être soulagé quand ça s'arrête peut donc sembler stupide, mais elle est électoralement très payante.

Dans ce sens, le succès de Cameron est une bonne nouvelle pour... François Hollande, considéré comme définitivement grillé pour 2017. Le chômage, la croissance faible, l'impopularité? Tout cela n'est pas pertinent. Si le gouvernement parvient à engranger un peu de baisse du chômage et de croissance durant les deux trimestres qui précèdent l'élection, cela pourrait être suffisant. Certains préparent déjà le discours correspondant. Cela vous paraît bizarre? C'est la stratégie du gouvernement, pourtant.

4Et maintenant?

L'élection terminée, comme l'indique Karl Whelan, trois perspectives se dessinent pour la Grande-Bretagne. Une croissance faible, encore de l'austérité budgétaire, et beaucoup d'incertitude institutionnelle.

Croissance faible? Toute la croissance récente est venue de la hausse de l'emploi, mais la production par travailleur stagne. La faible productivité, à court terme, est paradoxalement une bonne nouvelle : une petite hausse de la production engendre beaucoup de hausse de l'emploi. Mais à long terme, cela condamne l'économie à la stagnation et à toute une série de conséquences défavorables. Cette absence d'amélioration de l'efficacité de l'économie britannique est un mystère; et on ne voit rien venir pour le résoudre. Les britanniques peuvent s'attendre à des lendemains économiques qui déchantent.

La question du logement, en particulier, n'a pas fini d'empoisonner la situation économique. La conjoncture économique dépend de plus en plus de prix des logements en hausse, et les politiques publiques ne cessent d'y mettre du combustible. Les conséquences nuisibles n'ont pas fini de se faire sentir.

La question institutionnelle va s'y ajouter. Le succès des autonomistes écossais rappelle que les facteurs économiques et politiques contribuent toujours à l'éclatement de l'union. Si l'on y ajoute la perspective d'un referendum sur l'appartenance à l'Union Européenne, et à tout le moins une renégociation des conditions de l'appartenance Britannique, la Grande-Bretagne dans 5 ans pourrait se retrouver très différente de ce qu'elle est aujourd'hui - avec énormément d'incertitude entre-temps.