Pourquoi l'investissement ne redémarre-t-il pas?

Le gouvernement va lancer un plan pour relancer l'investissement des entreprises. Dans le contexte économique du moment, cela peut sembler l'évidence. La croissance est faible, le chômage est élevé, et, comme le montre le graphique ci-dessus (via Philippe Waechter) l'investissement des entreprises stagne, et n'est pas revenu à son niveau d'avant crise. Alors que les taux d'intérêt ont atteint un niveau extrêmement bas, sous l'influence de la politique des banques centrales, banque centrale européenne en particulier, les entreprises semblent réticentes à investir. Pourquoi? plusieurs explications sont possibles.

C'est la faute aux banques et à la finance

Selon une première explication, si les entreprises n'investissent pas, malgré d'abondantes liquidités disponibles, c'est que le système financier ne joue pas son rôle. Les banques en particulier rechignent à prêter aux petites et moyennes entreprises. Les artères du système financier sont bouchées. Cette explication pose plusieurs problèmes. Les grandes entreprises, qui peuvent directement accéder aux marchés financiers sans passer par les banques, n'investissent pas beaucoup non plus; En Europe, le problème du système bancaire est réel, mais cantonné aux pays périphériques (dont les banques doivent encore récupérer de la crise, ce qui les rend peu enclines à prendre des risques et à prêter). Or le problème d'investissement semble général : même l'Allemagne est concernée. Deuxièmement, même dans les pays dans lesquels le problème, caractéristique de la zone euro, ne se pose pas (les USA et la Grande-Bretagne) l'investissement ne redémarre pas vraiment non plus; la reprise économique dans ces pays a surtout été tirée par la consommation.

Une explication proche, liée à la finance elle aussi, serait alors la suivante : la financiarisation de l'économie. La dépendance des PDGs aux cours de bourse les incite au court-termisme et les dissuade d'investir. Il existe des preuves de ce genre de comportement. Une étude auprès de dirigeants américains a ainsi constaté que les trois quarts d'entre eux préféraient renoncer à un investissement rentable si celui-ci impliquait des coûts initiaux qui réduiraient temporairement les résultats de l'entreprise. Une autre que les entreprises cotées en bourse investissent moins que les entreprises équivalentes non cotées. C'est bien possible : mais ce n'est pas nouveau. Pourquoi le problème se pose-t-il surtout maintenant?

C'est qu'il n'y a plus besoin de tant d'investissements que cela

L'investissement est souvent considéré dans le discours public comme un bien en soi : plus il y en a, mieux on se porte. Augmenter le stock de capital de l'économie augmente le potentiel productif, donc les revenus et l'emploi. Le fonctionnement c'est mal, l'investissement c'est bien, nous dit-on.

Mais ce n'est pas certain du tout. Construire une route, installer une machine, est très efficace quand on n'en a pas; mais au bout d'une certaine quantité, les gains supplémentaires apportés par du capital supplémentaire deviennent voisins de zéro. Plus il y a de capital dans une économie, plus il faut consacrer de ressources à son entretien et son renouvellement, ressources qui ne servent qu'à maintenir l'existant et ne génèrent aucune croissance. Si ce point est atteint, cela signifie que la principale raison pour laquelle les entreprises n'investissent plus beaucoup, c'est qu'elles n'ont que peu d'opportunités d'investissements rentables. Ben Bernanke constatait dès 2005 que les sociétés développées connaissaient un tarissement des opportunités d'investissement.

De nombreux facteurs ont été avancés pour expliquer ce tarissement. Le vieillissement de la population des pays développés, la diminution de la part des actifs, qui réduit le besoin en capital et infrastructures. Les inégalités de revenus : Si les revenus des classes moyennes augmentent, il y aura de nombreux clients pour acheter plus de produits; si les revenus des riches augmentent, ils concentrent leur consommation sur des biens non reproductibles (propriétés immobilières dans des endroits précis, produits de luxe, tableaux de maîtres...) dont la production n'augmente pas facilement (seul le prix va monter).

On peut citer également des facteurs techniques: le progrès technologique actuel crée des entreprises géantes, comme Facebook, nécessitant peu d'investissements pour atteindre une taille mondiale. Les bénéfices apportés par la technologie sont moins générateurs de croissance que les techniques du passé. Les innovations actuelles génèrent peu d'opportunités d'inventions monétisables. Un produit gratuit, Wikipedia, remplace les encyclopédies payantes, les sites d'information gratuites remplacent les journaux payants, etc. Le progrès technique et la mondialisation, l'essor de la production dans les pays à bas salaires, l'effondrement du coût des microprocesseurs, a comprimé le prix des investissements au point d'atteindre une saturation des investissements possibles.

Si cette approche est juste, toute tentative d'augmenter l'investissement ne fera que créer des bulles, des investissements non rentables qui s'accumuleront dans les comptes des banques, des prêteurs et des gouvernements, jusqu'à créer une nouvelle crise. Faut-il vraiment revenir au niveau d'investissement de 2007, en pleine bulle financière? le culte de l'investissement, la volonté de le faire augmenter à toute force, ne serait alors qu'un avatar du fétichisme industriel, opposé aux besoins de nos sociétés vieillissantes. Vouloir augmenter l'investissement est succomber à une obsession délétère : il serait préférable de soutenir la consommation, qui a été aux USA et en Grande-Bretagne le moteur de la reprise économique.

Les barrières à l'investissement

Reste la troisième explication : Il existe des investissements qui pourraient être rentables; il y a une abondance de financements peu chers et disponibles; mais des barrières empêchent ces investissements de se réaliser.

Peter Thiel constate ainsi qu'à l'exception de quelques domaines (comme l'informatique et les technologies de l'information) le progrès technique semble bloqué. "On nous promettait des voitures volantes, on a eu 140 caractères", résume-t-il. En pratique, nos véhicules ralentissent, la conquête spatiale s'est arrêtée, le secteur pharmaceutique ne connaît plus d'innovations majeures, les biotechnologies sont une déception, etc. En cause? selon lui, le poids de plus en plus important de la réglementation qui crée des barrières à l'entrée infranchissables pour des entrepreneurs innovants. Faire approuver un médicament par la FDA coûte plus d'un milliard de dollars; la réglementation bancaire est tellement importante que seules les banques existantes peuvent la suivre et respecter ses contraintes; on pourrait ajouter que dans de nombreux domaines (biotechnologies, énergie, etc) nos sociétés sont de plus en plus rétives à accepter les risques. Prolifération de normes, d'obstacles à l'innovation et aux grands projets, en sont la conséquence. Il est probable qu'on ne construirait pas dans le climat délétère actuel le tunnel sous la Manche, sans voir instantanément des manifestations massives contre ce qui serait immanquablement perçu comme la porte ouverte à l'immigration clandestine. Le principal obstacle à la construction d'infrastructures, à l'interconnexion des réseaux en Europe, n'est pas le manque de financement, mais des obstacles politiques ou réglementaires.

Une autre possibilité, proche de celle-ci, serait la suivante. Il y a des investissements possibles mais ceux-ci génèrent des gains diffus, pour la collectivité, que des entreprises privées ne peuvent que difficilement capturer. Utiliser plus d'énergies renouvelables, réduire la quantité de gaz à effet de serre, nécessiterait des investissements importants et beaucoup de recherche; mais les gains à attendre dans ces domaines sont pour des générations futures pas encore nées, ou sont des externalités dont tout le monde bénéficie, mais pour lesquelles personne ne veut contribuer. Dans ce cas, l'investissement public dans ces domaines devrait se substituer à l'investissement privé pour faire ces investissements utiles à la collectivité.

Que faire?

Ces explications potentielles du faible investissement appellent des réponses différentes. Réforme de la réglementation financière pour les premières; Les troisièmes appelleraient une réduction des barrières réglementaires, ou des investissements publics de grande ampleur, en trouvant des mécanismes politiques pour passer outre aux oppositions d'un public acquis au statu quo (ce qui n'est pas facile : dans les années 30, le mécanisme a été la seconde guerre mondiale). Et si effectivement les opportunités d'investissement se tarissent, il faudrait privilégier la consommation, accepter un déficit public croissant pour équilibrer les excédents d'épargne du secteur privé. Ces mesures sont différentes, contradictoires, mais elles ont un point commun : elles ne sont pas dans le projet gouvernemental sur l'investissement.