Sécheresse en Californie : économique, pas climatique

C'est la sécheresse en Californie. Et elle est tellement virulente que le gouvernement de l'Etat a décidé des mesures de rationnement d'urgence pour réduire la consommation d'eau. Une préfiguration de ce qui nous attend tous avec le réchauffement climatique ? Plutôt, une illustration des conséquences de choix anti-économiques.

L'eau a un prix

Parce que l'eau est indispensable à la vie, l'accès à l'eau est souvent considéré comme quelque chose qui ne devrait pas être une marchandise, mais un droit qui échappe aux règles du marché. La privatisation de la distribution d'eau a fait l'objet de nombreuses critiques; En Irlande, la fin de la gratuité de l'eau a mis récemment la population dans la rue.

L'idée de droit à l'eau est défendable, mais jusqu'à un certain point. Peu de gens considèrent que remplir sa piscine, ou arroser son gazon en plein soleil, est un droit inaliénable de l'homme. Et l'eau n'est pas gratuite : sa fourniture et son traitement ont un coût non négligeable. Nous ne vivons pas dans un éden rural dans lequel l'eau pure coule librement dans les rivières, mais dans des villes, entourées d'exploitations agricoles, pour lesquelles la fourniture d'eau ne va pas de soi. La réalité a évolué, pas nos représentations.

Système absurde

Et en Californie, les représentations - ainsi qu'un lobbying efficace - conduisent à un système absurde. Les habitants de San Diego paient 5 dollars pour mille gallons d'eau - trois fois moins que les habitants de Nice, sur la Côte d'Azur, dans des conditions climatiques similaires. Avec ce bas prix, des réglementations locales imposent souvent aux résidents d'un quartier d'entretenir une pelouse bien arrosée devant chez eux pour des raisons esthétiques. Les rues sont plantées de palmiers particulièrement voraces en eau. Les habitants de San Diego consomment 600 litres d'eau par jour et par personne ; les habitants de Sydney, en Australie, moitié moins, sans pour autant dépérir.

Mais ce n'est rien à côté de l'agriculture californienne, qui consomme 80% de l'eau en Californie pour un prix très exactement égal à zéro. Et cette consommation est sous-estimée, car on ne compte pas les prélèvements directs de l'agriculture dans les nappes phréatiques. Les systèmes d'irrigation utilisés par le secteur agricole sont extrêmement inefficaces, conduisant à des pertes considérables par évaporation. Résultat, la simple production d'amandes californienne consomme trois fois plus d'eau que toute l'agglomération de Los Angeles ; la production de pistaches consomme trois fois plus que l'agglomération de San Francisco.

En somme, la Californie consomme des milliers de dollars d'eau pour faire pousser des centaines de dollars d'amandes.

Solutions inefficaces

Et les solutions adoptées pour faire face à la pénurie sont tout aussi inefficaces. Un rationnement concentré sur 20% de la consommation (les usages des particuliers) qui laisse les usages agricoles inchangés, n'obligeant les agriculteurs qu'à déclarer leur consommation d'eau. L'idée de jouer sur les prix, de faire payer les usages, est taboue.

Par contre, la course à l'échalote des solutions inefficaces, mais qui ne font de peine à personne, bat son plein. Les élus républicains veulent construire des barrages ; la ville de San Diego lance la construction d'une usine de dessalement, pour un milliard de dollars ; on propose des crédits d'impôts pour inciter les gens à renouveler leur électroménager en matériel plus économique. On suggère de cesser d'arroser les bas-côtés des routes (ce qui suggère qu'ils l'étaient...) et de planter devant les maisons des cactus plutôt que du gazon.

En somme, on préconise des mesures symboliques, destinées à permettre à chacun de se déculpabiliser; et on compte sur la technologie pour préserver le droit inaliénable de chacun de gaspiller l'eau à sa convenance.

Le prétexte du changement climatique

L'argument du changement climatique joue ce rôle à plein. Celui-ci présente en effet beaucoup d'avantages. C'est un phénomène aux causes abstraites, auquel chacun ne contribue que marginalement ; il est donc facile de se dire à bon compte que la sécheresse, c'est la faute au changement climatique, donc, avant tout, la faute des autres. Indépendamment du climat, des changements de bon sens, évidents, permettraient de résoudre la pénurie d'eau. En Californie, il suffirait de réduire un peu les usages agricoles les plus gaspilleurs d'eau pour faire disparaître la pénurie ; pour cela, de modifier un système institutionnel et le droit de propriété de fait des agriculteurs sur l'eau, d'amener les prix à un niveau compatible avec la situation pour obtenir des améliorations concrètes.

On aurait tort de croire que ces travers sont réservés aux Américains : nos réactions aux sécheresses ne valent guère mieux lorsqu'elles surviennent. On gémit contre le réchauffement climatique, on propose comme solution de déposer une bouteille pleine dans les cuvettes de WC pour réduire leur consommation ; on s'agite en rituels dont l'objectif est, surtout, que rien ne change. Sur ce sujet, comme sur d'autres, nos fautes ne sont pas à rechercher dans la fatalité et la nature qui se venge ; nos limites sont sociales.