Les loyers, la politique et les économistes

Il est plus facile de soigner son image médiatique que d'élaborer de bonnes lois; c'est ce que l'on pourrait conclure de la façon dont Cécile Duflot, ancienne ministre du logement, défend sa loi, à l'occasion de la tournée promotionnelle de son dernier livre. A l'écouter, il n'y a que deux raisons possibles pour être hostile à celle-ci: être vendu aux agents immobiliers, ou être "ultralibéral". La preuve : La phrase utilisée pour critiquer la loi : "il y a deux façons de détruire une ville, le bombardement et le contrôle des loyers" provient d'un article récent du site web libéral Contrepoints.

En fait, cette citation date de 1971, par l'économiste suédois Assar Lindbeck, qui exhortait déjà à l'époque les dirigeants social-démocrates de son pays à renoncer à un contrôle des loyers pour lutter contre la pénurie de logements dans son pays. La critique du contrôle des loyers, loin d'être une lubie d'ultralibéraux inféodés à la FNAIM, est un sujet abondamment étudié par les économistes; leur jugement sur le sujet s'appuie sur une littérature théorique et empirique extrêmement abondante, et dépasse les clivages entre eux.

Consensus scientifique contre consensus politique

On a déjà présenté ici le consensus économique sur le sujet. En sciences sociales, la réponse à toute question est "ça dépend" - et les effets du contrôle des loyers ne font pas exception. Dans le cas général, l'encadrement des loyers est inutile, le plus souvent nuisible. On peut trouver des configurations dans lesquelles, en théorie, le contrôle des loyers est préférable au fait de laisser les loyers se fixer par le mécanisme de marché; mais cela suppose des conditions très restrictives, en particulier sur la capacité des pouvoirs publics à identifier le "bon" niveau des loyers (celui qui prévaudrait sur un marché normal, sans perturbations) - conditions qui ne sont pas réunies dans le cas français.

Les études empiriques confirment ces conclusions; Si l'on peut trouver, ça et là, des cas dans lesquels le contrôle des loyers n'a pas eu d'effet mesurable, on n'en trouve aucune lui donnant des effets positifs, et un grand nombre confirmant le jugement négatif de la théorie économique sur la mesure. Réduction de la mobilité des personnes et hausse du chômage; dégradation des logements existants; hausse des loyers pour tous les logements non soumis au contrôle (par exemple, dans les villes voisines); logements inadaptés; les conséquences négatives sont multiples.

A ce consensus scientifique répond un autre consensus, politique celui-là. Le contrôle des loyers n'est pas une lubie récente issue du programme de François Hollande. Il était aussi un outil préconisé par Nicolas Sarkozy en 2007; Thierry Breton, en 2005, avait déjà modifié l'indice de référence des loyers pour en contraindre la hausse de manière administrative; et ce n'est qu'en se limitant aux deux mandats précédents. Depuis au moins l'entre-deux guerres, les politiques français ont multiplié les dispositifs de contrôle des loyers. Ils n'aiment rien tant d'ailleurs que coller leur nom à ces lois, non sans petites mesquineries.

La seule chose qui dure depuis aussi longtemps que ces mécanismes, c'est la crise du logement.

Clientélisme électoral

Il n'est donc pas très surprenant de voir de nombreux maires désireux de mettre en place le contrôle des loyers dans leur commune. Le contrôle des loyers est en effet pain bénit pour constituer une clientèle électorale captive. Les personnes bénéficiant de loyers bloqués administrativement constatent en effet que tous les loyers augmentent sauf le leur, ce qui les incite premièrement à rester dans leur logement, et deuxièmement, à continuer de voter pour le maire qui a mis en place le dispositif; ses futurs opposants découvriront eux rapidement que vouloir arrêter le système est politiquement catastrophique, même si celui-ci a des conséquences néfastes sur l'immobilier dans la ville. Le contrôle des loyers est l'exemple type de la mesure électoralement payante, qui fait des obligés et dont les conséquences négatives sont diffuses, sur le long terme.

Il n'est pas juste de faire porter sur la seule loi ALUR-Duflot la mauvaise situation de la construction en France - qui d'ailleurs va plutôt moins mal qu'ailleurs depuis le début de la crise financière. C'est une responsabilité partagée, à gauche comme à droite, depuis bien longtemps. Et il ne faut pas compter sur le gouvernement actuel pour inverser lourdement la tendance; il se contentera tout au plus de recréer, sous une autre forme, un de ces dispositifs coûteux et inefficace qui préserve l'immobilier cher sans bénéfice pour les acheteurs ou les locataires.