Et si on supprimait l'impôt sur les bénéfices?

Supprimer l'impôt sur les bénéfices en France? L'idée vous paraît sans doute saugrenue a priori. Pourtant, cela pourrait avoir énormément d'avantages, pour un coût équivalent à celui du pacte de responsabilité. Revue d'arguments.

1 La force de zéro

A l'heure ou le gouvernement fait la danse du ventre pour séduire les investisseurs étrangers, rien de tel qu'une mesure spectaculaire. Les réductions de cotisations sociales discutées pour le pacte de responsabilité se montent à environ 50 milliards d'euros, soit autant que les recettes en France de l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Le taux d'impôt sur les bénéfices est un indicateur très suivi, et bien plus explicite que le coût du travail dont la valeur est difficile à déterminer. Un impôt sur les sociétés de zéro est clair et transparent, et immédiatement attractif. Comme l'a décrit Chris Anderson, "zéro" a une force d'attraction bien plus irrésistible que toute autre diminution. Et imaginez les couvertures de la presse financière anglo-saxonne : "la France devient un paradis fiscal".

2 Ca rapporte gros

L'économiste Laurence Kotlikoff a récemment simulé l'impact d'une suppression de l'impôt sur les sociétés aux USA, pour constater un impact très positif sur l'investissement et la croissance économique (8 points de PIB supplémentaires à moyen terme). En effet, le capital est très mobile, contrairement au travail et aux individus; et il est très sensible aux écarts de rendement déterminés par la fiscalité. La France se retrouverait d'un coup avec l'impôt le plus bas de l'Union Européenne, deviendrait étant donnée sa position centrale un attracteur massif d'investissements. C'est grâce entre autres à un impôt sur les sociétés bas que l'Irlande a connu un miracle économique.

Supprimer l'impôt sur les bénéfices bénéficie aux salaires, à l'investissement, à l'emploi, et supprime les distorsions créées par les techniques d'évasion fiscale des entreprises, selon Kotlikoff; en particulier, les multinationales qui restent assises sur des montagnes d'argent inutilisées parce qu'elles ont bloqué leurs bénéfices dans les paradis fiscaux (comme Apple) seraient alors incitées à réinvestir.

3 Ca ne coûte pas si cher que cela

Cela peut sembler impressionnant de supprimer un impôt aussi considérable que l'impôt sur les sociétés. Mais après tout, cela ne fait pas tant que ça. 50 milliards, c'est ce que représentent les promesses du pacte de responsabilité; et en pratique, les recettes gouvernementales ne diminueraient pas d'autant.

On l'oublie souvent, mais ce ne sont pas les entreprises qui paient des impôts; ce sont les individus. De la même façon qu'un impôt sur le lait n'est pas payé par les vaches, l'impôt sur les sociétés est en pratique payé par les actionnaires, sous forme de bénéfice réduit; par les employés, sous forme de salaires plus bas; ou par les clients sous forme de prix plus élevés. Au bout du compte, ce sont des personnes qui paient les impôts, et les entreprises ne sont pas des individus.

Dès lors, supprimer l'impôt sur les bénéfices ne supprime pas les recettes fiscales mais les déplace. Les dividendes accrus sont taxés, comme les salaires touchés ou la TVA accrue. L'afflux d'investissements enrichirait le trésor public de cotisations sociales supplémentaires. Au total, le coût pour les finances publiques est bien moins important que le montant brut de la recette fiscale perdue.

4 De toute façon, on y viendra

Comme l'indique le graphique qui illustre ce post (et dont voici la source) les taux d'imposition des bénéfices des sociétés sont en chute libre en Europe, et cela continue. Tous les pays périphériques cherchent à rétablir leur attractivité en réduisant leur impôt sur les bénéfices, suivis par les autres. L'Europe a organisé la concurrence fiscale, résultat, le capital se déplace là ou les impôts sont les plus faibles.

L'actuelle lutte contre les paradis fiscaux risque même d'encourager ce processus. Pour l'instant, Amazon a la possibilité de conserver ses bénéfices au Luxembourg et ses entrepôts en France. Si la première option disparaît, l'entreprise choisira d'installer ses centres logistiques dans les pays européens à la fiscalité la plus légère; les pouvoirs publics français perdront les cotisations sociales et ne récupéreront rien, et seront obligés de s'aligner sur le moins-disant fiscal pour continuer d'attirer les capitaux. Le choix européen de réaction face à la crise a été d'obliger les pays à s'ajuster en accroissant leur compétitivité : la disparition de l'impôt sur les bénéfices est inscrite en filigrane dans ce choix.

Ce serait, bien évidemment, un suicide politique pour le gouvernement actuel que de décider de supprimer l'impôt sur les bénéfices. Son image de social-traître vendu au grand capital auprès de la gauche serait définitivement établie, sans grand bénéfice électoral par ailleurs. Le pays se retrouverait aussi au banc des accusés dans l'Union Européenne pour son dumping fiscal - alors que c'est la logique du système qui y pousse.

Mais il faut se rendre à l'évidence : les ordres de grandeur financiers de la suppression de l'impôt sur les sociétés sont les mêmes que ceux du "pacte de responsabilité". Les actuels allègements de cotisations sociales promis sont du même ordre que la suppression totale de l'impôt sur les sociétés, avec une efficacité bien moins assurée que la suppression immédiate de l'IS - quitte à élever au passage la fiscalité sur les dividendes en compensation. La suppression de l'impôt sur les sociétés n'est pas à l'ordre du jour pour l'instant; mais c'est un exercice intellectuel utile pour appréhender les évolutions actuelles.