Mon chat peut-il gérer mon portefeuille boursier?

Si l'on en croit le Guardian, vous auriez intérêt à virer votre conseiller financier et à le remplacer par votre chat. Le journal a en effet, en 2012, lancé un concours de placements boursiers, auquel ont participé plusieurs gestionnaires de fonds professionnels, et un chat (nommé Orlando) qui choisissait des titres à acheter au hasard, en poussant son jouet sur une liste. Au bout d'un an, le portefeuille constitué par le chat a obtenu la meilleure performance, battant tous les gestionnaires de fonds.

Ménagerie

Ce genre d'expérience n'est pas nouveau. On a déjà mesuré la performance de conseillers financiers pour choisir des placements contre des chimpanzés, ou des fonds constitués par des lancers de fléchettes. D'ailleurs, la finance n'est pas le seul domaine dans lequel on compare des spécialistes à de sympathiques bestioles : il n'y a pas si longtemps, la planète entière était mise en émoi par la compétence en prévision footballistique de Paul le Poulpe.

A chaque fois, on fait mine de découvrir une vérité qui devrait être une évidence : prévoir l'avenir est un art impossible. En particulier en matière financière, domaine dans lequel des milliers de personnes (et de logiciels sophistiqués) passent leur temps à acheter et vendre des titres sur la base des informations disponibles. Alors, si vous pensez que telle ou telle action est sous-évaluée et mérite un achat, il est probable que d'autres auront déjà tenu le même raisonnement, acheté le titre, et fait monter son cours jusqu'à ce que l'achat cesse d'être attrayant. Il n'est pas très étonnant dès lors que des conseillers financiers, même chevronnés, ne fassent pas mieux qu'une procédure aléatoire pour choisir les titres d'un portefeuille boursier.

Publicité à pas cher

Pourtant, ce n'est pas vraiment ce que l'on observe. Les radios, journaux, chaînes de télévision spécialisés dans les questions financières consacrent même l'essentiel de leur espace à inviter à longueur de journée des experts, le plus souvent des salariés de banques ou de sociétés d'investissement, pour leur demander leurs recommandations et leurs intuitions pour leur public. Tout le monde trouve son compte dans ces programmes : les institutions financières qui envoient leur personnel, qui bénéficient ainsi de publicités gratuites; les médias, qui disposent ainsi de programmes ne coûtant pas trop cher.

D'un côté, on monte des expériences un peu grotesques, comparant les experts à toute une ménagerie, pour montrer que leur compétence vaut à peine celle d'un animal; de l'autre, au moindre sujet, on convoque force "experts" dont la parole doit être entendue comme parole d'évangile. Cette schizophrénie n'est pas seulement celle des médias, mais surtout celle du public, qui adore autant l'expert qui lui prédit l'avenir de façon péremptoire que l'étude pseudo-scientifique lui prouvant que les experts sont nuls.

Schizophrénie

Le résultat de cette schizophrénie est assez triste. Les gens sont dans l'ensemble de piètres gestionnaires de leur épargne : ils font trop de transactions, achètent des actifs surrévalués recommandés par leur conseiller financier, qui se contente de suivre le sens du vent, ont des portefeuilles d'actifs insuffisamment diversifiés (des titres de leur employeur, une partie trop importante de leur patrimoine dans leur résidence principale...).

Surtout, les particuliers se ruent sur des produits structurés qui leur sont recommandés par le conseiller clientèle de leur banque, qui préfère trop souvent leur refiler ce pour quoi il touchera la plus forte commission que réellement chercher ce qui convient à leur client. Alléchés par des performances passées ou annoncées mirobolantes, les clients s'aveuglent eux-mêmes pour déplorer ensuite qu'on leur a menti ou qu'on ne leur a pas fait lire assez attentivement les petites lignes de leur contrat. Le conseil financier est ainsi avidement suivi et profondément détesté.

Le bon usage des conseillers financiers

Quelques recommandations simples permettraient à tout un chacun de se constituer un patrimoine dans des conditions sereines (voir aussi ce lien et celui-ci). Ne lisez pas les conseils de la presse financière. Faites peu de transactions. Epargnez une petite somme, mais régulièrement. Diversifiez. Limitez impôts et frais de gestion. Ne surestimez pas vos capacités d'investisseur.

Le bon conseiller financier (et il y en a de nombreux) est celui qui saura vous faire ces recommandations et adapter votre épargne à vos besoins individuels. Ce n'est pas le chasseur de primes qui cherchera à vous refiler le dernier miroir aux alouettes, en vous faisant croire à des rendements merveilleux assis sur son expertise ou les produits élaborés par les experts de sa banque, issus des meilleurs écoles d'ingénieur.

Les mauvais conseillers financiers sont fréquents et subsistent parce que beaucoup de gens ont intérêt à maintenir l'illusion de l'expert qui prévoira l'avenir, et parce que nous sommes disposés à espérer que les miracles existent, et que l'on va en bénéficier. Les mouvements qui déplorent l'inculture économique des français se gardent bien de préconiser une éducation financière qui permettrait à chacun de gérer son argent correctement : les institutions financières ont un peu trop à gagner sur la crédulité et l'ignorance nationale. Notre culture nationale ne valorise guère l'enrichissement par l'épargne. On continuera donc à suivre fiévreusement les conseillers financiers, attirés par la promesse d'une fortune facile; et à se venger symboliquement de temps en temps en lisant des études montrant qu'ils ne servent à rien, et ne sont pas meilleurs que des chimpanzés.