Non, l'austérité n'est pas une "erreur de calcul" du FMI

Les politiques d'austérité sont-elles le résultat d'une "erreur de calcul" du FMI? C'est l'histoire qui agite la presse depuis la publication d'un document de travail par les économistes Olivier Blanchard et Daniel Leigh, Blanchard étant chef économiste du FMI. Intitulé "erreurs de prévisions de croissance et multiplicateurs budgétaires" (un titre, vous en conviendrez, des plus alléchants) ce document est pourtant bien éloigné de ce qu'on lui fait dire.

Erreurs de prévisions systématiques

Quel est le problème? Chaque année, le FMI publie, sur la base de ses modèles, des prévisions de croissance. Celles-ci sont, de manière systématique, fausses, parce que c'est le destin des prévisions économiques que de pas pouvoir tout anticiper. Mais en général, les erreurs sont aléatoires : un coup trop haut, un coup trop bas. Or, depuis 3 ans, les erreurs de prévision du FMI (et d'ailleurs, des autres instituts de prévision aussi) vont systématiquement dans le même sens : surestimer la croissance des pays qui mènent des politiques d'austérité budgétaire.

Selon les auteurs, cette erreur systématique ne peut signifier qu'une chose : les modèles de prévision du FMI sous-estiment l'impact négatif des politiques budgétaires restrictives, hausses d'impôts et réduction des dépenses publiques. Mais comment cet effet peut-il être anticipé?

Il y a de ce point de vue deux façons de faire. La première consiste à observer quel a été, dans le passé, l'effet des politiques budgétaires restrictives. L'idéal serait même de choisir deux pays identiques, de n'y changer que la politique budgétaire, et d'observer le résultat. Ce genre d'expérience n'étant guère praticable, les économistes sont condamnés à faire avec ce que le monde réel leur donne. Mais la réalité est compliquée et désordonnée. Supposez un pays qui mène l'austérité budgétaire, tandis que sa monnaie se dévalue, que sa banque centrale baisse les taux d'intérêt, et que l'on y découvre un gisement de gaz naturel. Comment, dans tout cela, identifier l'effet spécifique de l'austérité budgétaire?

L'alternative consiste à recourir à un modèle théorique. Mais des modèles prédisant l'effet de l'austérité, il y en a beaucoup. Pour certains, l'austérité budgétaire, en redonnant confiance aux investisseurs, a un effet bénéfique sur l'activité économique. Pour d'autres, au contraire, l'austérité budgétaire a un impact catastrophique sur l'activité. La seule façon de savoir est de tester le modèle en comparant ces résultats avec ceux du monde réel (dont les données sont connues avec un grand décalage dans le temps...) ce qui ramène au problème précédent.

La seule réponse honnête à la question "quel est l'impact de l'austérité budgétaire" est donc "je n'en sais rien, ça dépend". Ce n'est pas un chiffre précis qu'on pourra sortir un jour du chapeau pour avoir la vérité révélée. Cela dépend du contexte, du pays, de la façon dont l'austérité est menée, de ce qui se passe à l'étranger, de la politique de la banque centrale, de la perception des gens sur la crédibilité de cette politique, etc, etc. Bienvenue dans les sciences sociales.

Néanmoins, lorsqu'il faut faire des prévisions, il faut bien choisir. Or, sur les 30 dernières années, dans les pays développés, l'effet des politiques budgétaires donnait une valeur de multiplicateur aux alentours de 0.5 - c'est à dire, une réduction du déficit public de 100 réduit au final le PIB du pays de 50. C'est sur cette base qu'étaient assises les prévisions annuelles du FMI. Et le papier de Blanchard et Leigh émet l'hypothèse que les erreurs systématiques de prévision depuis 3 ans s'expliquent par le fait que ce coefficient, dans le contexte actuel, est trop faible. En effet, il sous-estime l'impact de politiques d'austérité lorsque les banques centrales ne peuvent plus compenser, parce que les taux d'intérêt ont déjà été ramenés à zéro; et lorsque les ménages et entreprises sont aussi trop endettés, et cherchent en même temps que l'Etat à réduire leur dette.

Le FMI n'a pas légitimé l'austérité

Dans un monde normal, cela ne devrait donner lieu qu'à des félicitations : c'est le processus scientifique à l'oeuvre dans ce qu'il a de plus noble. Des scientifiques établissent un modèle, font des prévisions, les testent, constatent des erreurs, cherchent à les expliquer, et publient leur erreur et l'explication de celle-ci. A choisir, on aimerait voir cela plus souvent! Le jour où les politiques publiques en France seront soumises à ce genre de processus d'évaluation, où l'on verra des politiques dire "je regrette cette politique, les faits démontrent que je me suis trompé" on aura fait un énorme progrès.

Mais ce n'est pas cela qu'on lit : plutôt des ricanements haineux envers ces odieux experts qui ont poussé des peuples à la ruine à cause d'une "erreur de calcul" (qui n'en est pas une). Il est vrai que le FMI n'a pas été brillant dans les années 90, prônant aux pays en crise des ajustements budgétaires excessifs, et que cela explique en grande partie ce réflexe critique pavlovien.

Mais ce reproche est ici totalement déplacé. Dès le début de la crise, c'est le FMI et en particulier son chef économiste Blanchard qui ont cherché à contrecarrer les politiques d'austérité excessive en Europe. Dès 2010, Blanchard déclarait "le risque est que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l'austérité. Ce serait une erreur!" Ce n'est pas au FMI qu'il faut chercher la cause des politiques d'austérité.

Au même moment, le président de la BCE Jean-Claude Trichet déclarait que l'austérité budgétaire en Europe "ne risquait pas de provoquer de stagnation en Europe". En bon inspecteur des finances, lui n'a jamais admis s'être trompé : l'infaillibilité pontificale n'est rien à côté des certitudes des gens issus des grands corps français. Mais qui a fait l'erreur la plus grave? Blanchard et le FMI, qui craignaient que l'austérité ne soit excessive, et qui ont en fait sous-estimé ses effets, et ont cherché en permanence à évaluer leurs prévisions à l'aide des données disponibles? Ou les institutions et dirigeants européens, dont aucun probablement n'a la moindre idée de ce que signifie un "multiplicateur budgétaire" et quelles sont ses conséquences, et ont malgré cela décidé d'imposer l'austérité partout?

 Il est possible de dire qu'il n'y a pas d'autre choix, étant donnée la situation politique en Europe, que celui de l'austérité budgétaire, que les alternatives sont impossibles. il est possible d'envisager l'inverse. Mais s'imaginer que l'austérité en Europe est le résultat des calculs mal faits des têtes d'oeuf du FMI relève au mieux de l'ignorance intégrale, au pire, de la confusion mentale.