L'enjeu des négociations sur l'emploi

Dans l'indifférence générale, se déroulent en ce moment les négociations sur l'emploi entre patronat et syndicats. Quelques commentateurs essaient bien d'intéresser le public à la chose, mais sans grand succès. Pourtant, avec un chômage record, des décennies de sous-emploi élevé en France, et le chômage soi-disant "première priorité des français" ces négociations devraient avoir plus de poids que les pérégrinations orientales d'un acteur vieillissant. Les mystères de l'actualité sont impénétrables.

La réglementation du travail : un enjeu important pour l'emploi...

Les employeurs se plaignent régulièrement du poids des réglementations de l'emploi en général, considérées comme dissuasives pour l'embauche et la croissance des entreprises. D'autres diront que cette réglementation n'a aucun impact et devrait même, au contraire, être encore durcie. Il est en pratique assez difficile pour les économistes d'évaluer l'impact exact des réglementations du marché du travail.

Trois économistes ont cherché à évaluer, pour la France, le poids de la réglementation (via Mulligan). Pour cela, ils se sont appuyés sur les effets de seuil. En France, en effet, les contraintes réglementaires changent en fonction de la taille des entreprises. Certaines réglementations ne s'appliquent qu'à partir de 10 salariés, par exemple. Il y a des seuils à 10, 11, 20, 25, et surtout 50 salariés.

Dans le même temps, de manière générale, le nombre d'entreprises dans un pays en fonction de l'effectif suit une loi assez régulière. Il y a énormément de petites entreprises, et très peu de grandes entreprises. On a découvert que le nombre d'entreprises en fonction de l'effectif suivant ce qu'on appelle une loi puissance. C'est un type de loi souvent rencontré : par exemple, les numéros de votre répertoire téléphonique en suivent une, ce qui signifie que 80% de vos appels sont destinés à 20% des personnes de votre répertoire.

Lorsque les auteurs représentent le nombre réel d'entreprises en fonction de l'effectif, ils obtiennent le résultat suivant :

Dans l'ensemble, la répartition des entreprises suit une courbe régulière, mais on observe un gros décalage au niveau de 10 salariés et un décalage très fort au niveau des 50 salariés. L'échelle logarithmique du graphique écrase un peu cet effet, plus net dans ce shéma:

On voit ici le nombre d'entreprises en fonction de l'effectif, entre 30 et 70 salariés. Le trou au niveau de 50 salariés est très net : plus de deux fois moins d'entreprises de 50 salariés que de 49! en somme, de nombreux employeurs préfèrent rester à 49 salariés plutôt que d'en embaucher un 50ième, ce qui générerait un coût élevé à cause des multiples réglementations qui doivent être respectées à partir de ce seuil. Cela a des conséquences directes sur l'emploi : non seulement les 50ièmes emplois qui ne seront jamais créés à cause des réglementations, mais aussi, tous les emplois supplémentaires qui ne seront jamais créés parce que les entreprises resteront bloquées à ce niveau de 49 salariés.

...Mais un impact à nuancer

Faut-il en conclure que pour préserver l'emploi, il faudrait rapidement supprimer toutes les réglementations du marché du travail? Ce serait aller trop vite en besogne, pour deux raisons.

- premièrement, les réglementations du travail ont un coût, mais elles ont aussi des avantages. Ne pas se préoccuper de la sécurité des ouvriers du bâtiment permettrait aux employeurs de réduire les coûts, mais conduirait la société à payer pour les conséquences des multiples accidents du travail que cela provoquerait. La réglementation du travail a un coût, mais elle a aussi des avantages. L'intérêt des travaux cités ci-dessus est de mettre le coût en évidence; de bonnes négociations devraient aboutir à ce que l'on préserve les réglementations dont les coûts sont acceptables par rapport aux inconvénients en termes d'emploi.

- Deuxièmement, en ce moment, le chômage en France (et en Europe) n'est pas particulièrement difficile à expliquer : il provient des conséquences de la crise économique en Europe qui déprime la demande auprès des entreprises. C'est l'absence de demande, les carnets de commande en berne, qui causent faillites et licenciements. Le marché du travail français et européen n'est pas devenu mystérieusement plus rigide à partir de 2007. Dans ces conditions, tout ce qui pourra être gagné par un allègement ou une amélioration (certainement nécessaire) du fonctionnement du marché du travail sera dérisoire.

Dans les conditions actuelles, l'évolution de l'emploi est bien plus déterminée par les questions macroéconomiques - politiques d'austérité budgétaire, politique monétaire, conjoncture internationale, etc... que par les questions de structure du marché du travail. Dans le fond, pour une fois, le public a peut-être plus raison que les commentateurs : l'essentiel n'est pas dans ces négociations.