Faites vos prévisions pour 2013 comme un économiste

Bonne année 2013 à tous les lecteurs de francetv info, et de ce blog.

Comme chaque début d'année, celui-ci est consacré aux prévisions économiques. De nombreux commentateurs s'y livrent, expliquant ce à quoi nous devrions nous attendre pour l'année à venir. Comment vont évoluer la croissance, le chômage, l'inflation, l'an prochain? La crise de la zone euro va-t-elle se poursuivre? Qui remportera telle ou telle élection? Le prix de l'immobilier, des matières premières, des produits agricoles, vont-ils augmenter ou diminuer? La Bourse va-t-elle monter? Des crises politiques, des révolutions, des conflits vont-ils se produire, et où?

Nous voulons connaître l'avenir, mais c'est impossible

Nous avons un désir insatiable de connaître l'avenir. Malheureusement, nous en sommes largement incapables. L'économiste Frank Knight distinguait les situations de risque, dans lesquelles il est possible de faire une liste de toutes les issues possibles (par exemple, le résultat d'une élection présidentielle, dans laquelle le gagnant sera forcément l'un des candidats) et sur laquelle on peut établir des probabilités; et les situations d'incertitude, dans lesquelles les éventualités sont inconnues. Les premiers types de situation se prêtent plus ou moins bien au calcul, à l'analyse de données, à la modélisation, méthodes qui permettent d'obtenir des résultats raisonnablement satisfaisants. Etrangement, la majorité des commentateurs prévisionnistes négligent ces méthodes, préférant leurs intuitions aussi fulgurantes que fausses, ce qui confère aisément un statut de magicien à ceux, comme Nate Silver, qui les utilisent et obtiennent des résultats.

Mais pour le reste, la prévision est impossible. Même si l'on peut identifier des circonstances favorables aux révolutions ou aux changements de régime, ce qui provoque les vraies révolutions est imprévisible. Qui pouvait prévoir la séquence d'évènements allant de brutalités subies par un obscur marchand ambulant tunisien à une guerre civile en Libye, et à la scission du Mali? L'économiste Thomas Schelling, le sociologue Mark Granovetter, ont construit de nombreux modèles montrant que des évènements mineurs, indétectables, peuvent avoir des conséquences considérables. Même a posteriori, il est difficile de donner une réponse simple à la question "que s'est-il passé?". Aucun historien ne saurait répondre avec certitude à la question "les causes et les conséquences de la révolution française".

Or, les phénomènes sociaux et économiques relèvent de cette catégorie, rendant la prévision très difficile. A une demande de prévisions d'avenir extrêmement forte répond une incapacité structurelle à répondre. La prévision socio-économique et politique est donc un art tout particulier, dans lequel le prévisionniste doit satisfaire l'inquiétude insatiable de son lecteur tout en dissimulant soigneusement son incapacité à le faire réellement. Voici quelques techniques de l'art du prévisionniste :

1Soyez très sûr de vous

Une prévision sérieuse devrait inclure des conditionnels, une évaluation, même grossière, de l'incertitude qui l'accompagne. Oubliez tout cela, et soyez péremptoire. Soyez tranquille : personne ne viendra relire vos prévisions de l'année précédente. Par contre, on vous reprochera la nuance et l'admission honnête des limites de vos capacités. Pour accentuer cela, n'oubliez pas le conseil suivant :

2Utilisez des chiffres. Avec des virgules.

Comparez les deux énoncés suivants : "En France, le chômage va augmenter l'année prochaine, et la croissance sera faible" et "le chômage va augmenter l'année prochaine, passant à 10,9%, tandis que la croissance sera de 0,19%". Le second a l'air bien plus scientifique. Pour peu que vos chiffres aient l'air raisonnable, ils donnent à une prévision un air de scientificité indéniable. L'utilisation de décimales suggère, elle, l'application de méthodes sophistiquées. Surtout, n'indiquez pas ce qui donnerait une réelle scientificité à vos évaluations chiffrées, comme des marges d'erreur ou des probabilités (cf conseil numéro 1).

3Soyez flou, général et grandiloquent

Les vastes généralités se prêtent bien aux prévisions ayant l'air sérieux mais ne comprenant aucun contenu informatif, ce qui permet par la suite d'affirmer que l'on a eu raison. "En 2013, le basculement du centre de la géopolitique mondiale vers les pays émergents va se poursuivre." Outre que le basculement d'un centre est un phénomène physiquement indescriptible, l'expression générale est suffisamment floue pour que quoi qu'il arrive par la suite, la phrase semble validée.

4Répétez la même chose que les autres prévisionnistes

Keynes constatait qu'il vaut mieux avoir tort avec la foule que raison contre elle. Appliquez ce conseil à vos prévisions. Si vous vous plantez, personne ne viendra vous le reprocher, puisque tout le monde s'est trompé aussi. Évitez à tout prix d'avoir raison trop tôt. Les autres prévisionnistes risquent de se moquer de vous dans un premier temps, puis de vous détester pour leur avoir donné tort. Répétez ce que dit tout le monde, c'est bien plus prudent.

5Répétez vos prévisions précédentes, jusqu'à ce qu'elles se réalisent

Vous avez prédit il y a trois ans que l'immobilier allait baisser, qu'il allait y avoir un krach financier, et cela ne s'est pas produit? Prédisez-le à nouveau. Et recommencez chaque année. A terme, cela finira par marcher. Lorsque c'est le cas, annoncez triomphalement que vous avez raison et que vous aviez vu juste depuis le début.

6Faites énormément de prévisions

C'est le même principe que l'idée précédente : de la même façon qu'une montre arrêtée donne l'heure exacte deux fois par jour, une liste suffisamment longue de prévisions finira statistiquement par en comporter une exacte. Ensuite, évidemment, insistez sur celle-là, et négligez soigneusement toutes les autres. Prenez par exemple tous les conflits du monde, et indiquez que parmi eux, l'un au moins va se terminer. C'est imparable.

7Extrapolez

Prolonger les courbes est une excellente façon à la fois de faire un pronostic plausible et d'avoir raison (après tout, les grandes turbulences sont rares). Supposer que ce qui s'est produit l'an dernier va se reproduire, poursuivre les courbes du passé immédiat, est une façon assez tranquille de faire des prévisions. N'oubliez pas que le prévisionniste qui, chaque année au cours du XXe siècle, aurait prévu une année de paix totale en Europe, aurait eu raison 90% des fois (les exceptions étant 14-18 et 39-45...), bien mieux que la plupart de ses concurrents.

8Choisissez un camp idéologique, et faites des prévisions qui plaisent à ses membres

Depuis l'analyse de la façon dont les membres d'une secte millénariste réagissent à l'échec de la prévision sur laquelle toutes leurs croyances étaient assises, on sait que la capacité des gens à se bercer d'illusions (en langage savant, on appelle cela la dissonance cognitive) est presque infinie dès lors que ces illusions confirment leur vision du monde. Prévoyez pour bientôt (mais ne donnez pas de date précise, évidemment...) une économie en déroute, une faillite publique, la ruine de la nation, et tous les gens très mécontents du gouvernement actuel vous prendront spontanément au sérieux. Les autres se sentiront obligés de vous réfuter, ce qui donnera encore plus de publicité à vos propos et confortera ceux qui se disent que vous pensez juste.

9Répétez inlassablement vos prévisions passées vaguement réussies, oubliez toutes les autres

Ce conseil va sans dire, après les précédents. Il n'est pas nécessaire d'avoir vraiment raison pour faire croire qu'une prévision passée est juste; il suffit de le faire croire. De toute façon, la majorité des commentateurs ne comprennent pas ce qui se passe. Par exemple, annoncez que les opérateurs sur les marchés vont lancer une attaque sur le dollar, dont la valeur est selon vous surévaluée, ce qui provoquera une crise bancaire aux Etats-Unis. Puis, si une crise bancaire se produit aux USA pour une tout autre raison (au hasard, un krach immobilier), affirmez sans relâche que vous aviez tout prévu. Vous entrerez dans le club très fourni des gens qu'on appelle ensuite "le seul homme qui a prédit la crise" (car les femmes ne prévoient jamais rien, c'est bien connu). Par contre, oubliez soigneusement toutes les prévisions ratées, ou appliquez-leur la règle numéro 6.

Avec tous ces conseils, vous voilà prêt à construire un bel essai de prévisions pour 2013. Et de lire avec un certain recul les abondantes prévisions dont vous allez être abreuvé. N'oubliez pas qu'une seule prévision se réalise toujours : il y aura en permanence des gens pour faire des prévisions aussi péremptoires que fausses sur la base d'une grande théorie générale, et une abondance de crédules pour les suivre.