Gérard Depardieu s'installe en Belgique. Et alors?

Que n'a t'on pas lu depuis l'annonce de l'installation de Gérard Depardieu en Belgique, pour raisons fiscales. Mauvais français, "affairiste poujadiste et aviné, pathétique star en naufrage", qui mériterait d'être "déchu de sa nationalité" comme tous ces traîtres à la patrie qui manquent de générosité et de solidarité.

A gauche, on n'a pas de mot assez durs contre ces abjects individus qui osent chercher à payer moins d'impôts; à droite, on voit là le symbole d'une fiscalité française devenue intolérable à cause de la politique de la majorité. Tout le monde communie dans la détestation du fuyard. Les paradis fiscaux avaient été l'un des grands sujets du précédent gouvernement; un individu distrait aurait même pu croire que les paradis fiscaux, c'était fini. Le marronnier de l'évasion fiscale des célébrités, quant à lui, ne disparaîtra jamais.

Des fiscalités globalement comparables

Le plus ridicule dans les réactions à ce débat aura été l'idée répétée, et entretenue après la récente affaire Bernard Arnault, que la Belgique est un paradis fiscal. Voilà une idée qui fait bien rire les belges, qui subissent l'une des fiscalités les plus élevées en Europe. pour un salaire brut de 50 000 €, un belge touchera un salaire net de 32000, contre 37000 pour un français.

Il est vrai que la fiscalité du capital est moindre en Belgique, ce qui incite les français disposant d'un patrimoine important, mais qui ne constitue plus leur outil de travail, à s'y installer. Depardieu rejoint ainsi la famille Mulliez, et d'autres notables du nord de la France, qui constituent un quart de la population de la ville belge d'Estaimpluis, proche de la frontière française.

Au bout du compte, pour une pression fiscale globale identique à la France, la Belgique taxe plus le travail et moins le capital. Est-ce un bon ou un mauvais choix? C'est un vaste débat parmi les économistes. De nombreux arguments suggèrent que la fiscalité du capital devrait être plus faible que celle du travail, mais ils sont très discutés. A pression fiscale égale, l'économiste est en tout cas bien en peine de dire quel système fiscal, entre les deux pays, est le meilleur (ou le moins pire).

L'hypocrisie française

Par contre, les belges riront moins en découvrant la vidéo ci-dessous, création récente de l'agence française pour les investissements internationaux, agence de Bercy chargée d'assurer la promotion de la France auprès des investisseurs internationaux, d'où est extraite l'image qui illustre ce post. On y voit que l'argument principal avancé par le gouvernement français pour l'attractivité nationale, ce sont... des exonérations fiscales.

Et cela n'a rien d'étonnant. Comme toujours, les paradis fiscaux ne sont pas ces petits pays que l'on se plaît à stigmatiser; les vrais paradis fiscaux prospèrent, comme je le rappelais dans ce vieux post, à l'intérieur de tous les pays, en particulier la France. On pourrait y ajouter que les petits pays, comme la Belgique, n'ont pas les moyens d'offrir des ponts d'or aux grandes entreprises, ou de faire pression sur elles lorsqu'elles cherchent à fermer des sites. Ce sont eux qui subissent de plein fouet les fermetures d'usines pendant que les ministres français plastronnent à la télévision en affirmant qu'ils ont "sauvé des emplois".

En s'installant en Belgique, Gérard Depardieu bénéficie d'un accord entre la France et la Belgique. Si celui-ci ne convient pas, il devrait être modifié. Mais cela ne se fera pas, parce que sans nous l'avouer, nous savons que les paradis fiscaux nous apportent plus d'avantages que d'inconvénients. Les taxes collectées sur le groupe Auchan sont infiniment plus importantes que l'impôt sur le revenu ou le patrimoine de la famille Mulliez; Depardieu, indépendamment de sa contribution à la culture française, a généré infiniment plus de recettes fiscales par ses films que les quelques pertes subies suite à son installation belge. A trop pourchasser les exilés fiscaux, on risquerait de les dissuader réellement de maintenir leurs activités économiques en France, ce dont personne n'a vraiment envie.

L'impossible harmonisation fiscale

Bien évidemment, après avoir hurlé au bannissement du traître à la patrie, nos commentateurs déplorent l'absence d'harmonisation fiscale en Europe. Mais ces regrets contiennent l'explication de cette absence d'harmonisation. Pour nos politiques, ceux qui doivent harmoniser leur fiscalité, ce sont les autres, jamais nous. Le problème, ce sont les taux d'imposition moins élevés dans les autres pays; jamais les taux élevés dans les autres.

Jamais les débats nationaux sur la fiscalité n'intègrent les autres pays, autrement que comme menace. Il faudrait augmenter l'impôt irlandais sur les bénéfices des sociétés - et tant pis pour les irlandais si cela les ramène au début des années 80, quand ils étaient l'un des pays les plus pauvres d'Europe. Les belges aussi, devraient faire un effort et augmenter leur fiscalité sur le capital; nous, français, de notre côté, n'hésiteront pas à faire un "choc de compétitivité" pour rendre nos salariés plus compétitifs que les autres européens et attirer les investisseurs. Une harmonisation fiscale européenne aurait comme premier effet de nous obliger, pour nous aligner sur les autres, à réduire considérablement fiscalité et dépenses publiques; les politiques français peuvent s'époumoner, ils ne sont de ce fait guère crédibles. Dans le fond, la France ne veut de l'Europe que lorsqu'elle lui ressemble, et l'ignore totalement lorsque ce n'est pas le cas.