Moody's dégrade la dette publique française

(AFP)

La dégradation, c'est bon pour la dette publique

Le pays avait il y a peu élu un gouvernement socialiste, qui semblait incapable de mener les réformes nécessaires; la presse économique internationale s'en inquiétait, qualifiant le pays de bombe à retardement au cœur de l'Europe. Faible croissance, marché du travail rigide, dette publique conséquente, exposition de son système bancaire aux aléas de la crise en Europe; malgré une économie diversifiée, toutes les raisons de justifier, de la part de l'agence de notation Moody's, une dégradation de sa note.

Contrairement aux apparences, le paragraphe précédent ne concerne pas la France, dont la dette publique a été dégradée d'un cran hier soir par Moody's, mais la Belgique, en décembre 2011, dont la note avait même été à l'époque dégradée de deux crans, à aa3. Si la France suit l'exemple belge, il n'y a pas trop de raisons de s'inquiéter: depuis la dégradation, les taux d'emprunt de l'état belge ont baissé de 2,5 points, et sont au plus bas depuis 15 ans, à 2,2%.

Les commentateurs vont toute la journée s'en donner à cœur joie sur la note française, sur le thème de "la dégradation par Moody's prouve que j'ai raison depuis le début". La gauche la justifiera par le bilan de la droite, la droite par la mauvaise gestion de la gauche, et tout le monde aura plein d'idées sur ce qu'il faut faire pour rétablir la note perdue. En France, on est bercé dès le plus jeune âge par un système éducatif qui voue un véritable culte aux notes: cela, et le goût national pour réagir aux jugements extérieurs de manière toujours disproportionnée, feront qu'on discutera de ce changement de note bien plus qu'il ne le mérite.

L'influence des agences devient insignifiante

C'est que le cas belge n'est pas isolé : parmi les gouvernements qui empruntent à des taux plus faibles depuis leur dégradation, on peut citer les Etats-Unis, le Japon, l'Italie; même la France emprunte plus facilement aujourd'hui qu'à l'époque de la dégradation de sa dette publique par Standard & Poors. Les agences de notation n'ont pratiquement aucun impact sur les taux auxquels les gouvernements empruntent, et cet impact devient de plus en plus insignifiant.

Il y a trois raisons pour cela. La première, c'est qu'il y a eu tellement de baisses de notes que les perceptions des investisseurs sont différentes. Lorsque pratiquement tout le monde, y compris les USA, a connu soit une baisse de note, soit une "perspective négative", cela relativise beaucoup les baisses de notes ponctuelles. Les notes sont avant tout un classement relatif. Si vous êtes le seul dégradé quand tous les autres sont triple A, c'est plus gênant que lorsque tout le monde a été dégradé d'une manière ou d'une autre.

La seconde raison, c'est qu'une partie de l'impact des agences de notation était l'effet autoréalisateur des notes. La réglementation imposait aux institutions financières de détenir une certaine quantité d'actifs bien classés par les agences de notation. Du coup, une dégradation obligeait ces institutions à vendre rapidement les actifs dégradés, ce qui rendait la situation des emprunteurs encore plus difficile, validant a posteriori la dégradation. Or la réglementation évolue, et les régulateurs (en particulier la commission européenne) ne font pas mystère de leur volonté de réduire le poids des agences de notation dans celle-ci.

Enfin, les banques centrales, en particulier la BCE, indiquent clairement désormais qu'elles feront "tout ce qui est nécessaire" ce qui signifie entre autres, ne pas laisser un gouvernement faire défaut, ce qui mettrait en péril la zone euro. Cela inclut la possibilité de passer outre les notes et d'acheter des titres de dettes gouvernementales si cela est nécessaire.

Une opinion parmi d'autres

En somme, le contexte fait que les notes décernées aux gouvernements par les agences de notation deviennent de plus en plus ce qu'elles devraient être : une opinion parmi d'autres. C'est qu'il n'y a pas de manière scientifique de déterminer la solvabilité d'un Etat. Pour un particulier ou une entreprise, il y a une règle: si ses actifs et ses revenus ne permettent pas de payer la charge de la dette, il est insolvable. Mais un Etat peut augmenter ses revenus (en augmentant les impôts) ou son patrimoine (en saisissant le patrimoine disponible dans le pays). Bien sûr, il ne le fera que si le coût politique que cela représente pour lui est inférieur à l'intérêt de continuer de payer sa dette. Personne n'aurait imaginé, en 1998, que la Russie devait vendre les tableaux du musée de l'Hermitage pour payer ses dettes; personne ne suggère que la Grèce devrait vendre le Parthénon pour payer la sienne. La capacité d'un gouvernement à payer sa dette ne dépend pas de facteurs économiques mais de facteurs politiques, extrêmement difficiles à estimer.

Dans ces conditions, les analystes des agences de notation se contentent de suivre l'opinion du marché, en particulier l'évolution des Credit Default-Swaps (les assurances contre le défaut des Etats souverains). Que peuvent-elles apporter de plus, pour des titres que des milliers d'analystes et d'opérateurs de marché scrutent en permanence? Et agrémentent cela, pour avoir l'air sérieux, de quelques opinions dans la ligne de la pensée conventionnelle du moment. L'avis de Moody's sur la France relève de cette catégorie: les problèmes qu'ils décrivent étaient là il y a 10 ans, période durant laquelle le gouvernement français a conservé sa meilleure note auprès de cette agence. Pourquoi s'en inquiéter maintenant plutôt que l'an dernier, ou l'année prochaine?

C'est que la perte d'influence qu'elles subissent, la perte de crédibilité après qu'elles aient noté triple A les actifs les plus improbables de la période des subprimes, les conduit à chercher les feux de l'actualité. Un peu comme ces starlettes sur le retour qui s'affichent régulièrement avec un nouveau compagnon dans des boîtes de nuit branchées pour refaire la une de la presse people, les agences de notation dégradent les gouvernements pour que l'on continue de leur faire un peu de publicité gratuite. Mais le fait est que les marchés ont accueilli la nouvelle de la dégradation de la note française sans la moindre réaction: la technique fonctionne de moins en moins bien.