"Fatale" en compétition à Angoulême

Jean-Patrick Manchette est reconnu comme l'un des auteurs les plus marquants du polar français des années 1970/1980. En une dizaine de romans il a posé les bases d’un « néo-polar » selon sa propre expression. Un genre qui place la critique sociale au cœur de l’intrigue.

Au fil des années, plusieurs dessinateurs ont adapté les romans de Manchette, constituant une sorte d’anthologie en Bande Dessinée. Il y a quelques années Tardi a mis en images : « Le petit Bleu de la Côte Ouest », « La position du tireur couché », et « Ô dingos, ô châteaux ». Après « La Princesse du Sang » , Max Cabanes s’attaque cette fois à « Fatale » avec Doug Headline au scénario.

La critique sociale, elle est au cœur de cet album : une jeune veuve belle et mystérieuse s’installe dans une petite ville de province. Elle se fait très vite accepter par les notables locaux. Elle découvre les histoires d’argent et les coucheries d’une bourgeoisie décadente où chacun connait les secrets de son voisin. Mais ce qu’ils ignorent tous, c’est que la belle est une tueuse professionnelle. Elle vient régler ses comptes, et accessoirement empocher un magot.

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Lorsque Jean-Patrick Manchette avait écrit cette histoire en 1977, la célèbre collection « Série Noire » l’avait refusée pour son manque d’action. Et pourtant quel suspense ! Quel plaisir de voir l’héroine dérouler son plan avec froideur et précision. Un plan que l’on découvre progressivement.  C’est très bonne idée d’avoir utilisé une police de caractère « machine à écrire » pour les narratifs. Cela donne cette impression agréable de voir Manchette créer au fur et à mesure son intrigue. Economie de dialogues, économie de texte : l’auteur revendiquait une écriture « sèche », il voulait « dire les choses, notamment les plus abominables, d'une manière très précise. » il appellera cette technique le « behaviorisme ». C'est-à-dire s’intéresser à l’action, au comportement, plus qu’aux considérations psychologiques. L’album de Max Cabanes et Doug headline reprend avec succès cette règle de narration pour livrer une BD captivante. Le style réaliste du dessinateur se prête bien à ce polar des années 70 en cela qu'il rappelle le style de certains dessinateurs de cette époque. Son trait élégant est parfait pour à la fois croquer la petite bourgeoisie de cette ville de province et créer des décors sombres et inquiétants. A ce titre, le final haletant de l’aventure est exemplaire.

"Moderne Olympia" en compétition à Angoulême

COUV_OLYMPIA_WEBAlanguie sur son lit, Olympia s'ennuie à cent sous de l'heure. Lasse d'attendre la gloire, elle rêve d'un premier rôle et enchaîne les castings. Il faut dire que le travail ne manque pas au Musée d'Orsay. Eh oui, chaque tableau donne lieu à un tournage digne d'Hollywood : réalisateur caractériel, figurants blasés, Star jalouse. Mais Olympia ne décroche que des rôles secondaires, qu'elle massacre en toute naïveté... Un jour, sur un tournage, elle tombe amoureuse de Romain, le bel acteur, et pense enfin avoir trouvé son Roméo. C'est sans compter sur les "professionnels de la profession" choqués par cette liaison, et la star Vénus, bien décidée à conquérir le coeur de Romain.

A l'instar de ce qui se faisait déjà avec le Louvre, L'éditeur Futuropolis inaugure une nouvelle collection en partenariat avec le Musée d'Orsay. Et c'est une excellente idée d'avoir confié le premier volume à Catherine Meurisse. La dessinatrice (qui travaille pour Charlie Hebdo et de nombreux titres de la presse quotidienne et hebdomadaire ) nous propose une histoire vraiment très drôle et souvent complètement loufoque. Transformer le musée d'Orsay en Studio de cinéma et une trouvaille qui permet de multiplier les "plateaux de tournage" et les situations comiques. Les dessinateurs de BD font parfois preuve de timidité, de déférence, ou à l'inverse étalent un peu trop leur savoir lorsqu'ils parlent de peinture. Ici le ton est libre, agréablement léger... Catherine Meurisse ne s'est pas laissée impressionner.

Un bel exemple avec le "Jérusalem" de Jean-Léon Gerôme : 

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Et voici les "coulisses du tournage" : 

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On pourrait multiplier les exemples comme celui-ci : toute l'histoire est écrite sur ce ton. Bref, un beau moment de rigolade qui rappelle parfois l'humour des Nuls ou des Monty Python. Donc dépechez-vous d'aller acheter "Moderne Olympia" car comme le disait si bien Napoléon :

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Guerre des sexes sur "L'île aux Femmes"

61cGRupZUqLEn 2014, beaucoup de BD nous ont rappelé sur un ton réaliste l’horreur de la guerre 14-18. En ce début d’année 2015, « L’île aux femmes » aborde - par la bande - ce conflit en nous racontant avec humour l’histoire extraordinaire d’un pilote de guerre français.

Céleste Bompard est un as de la voltige et un grand séducteur. Sa mission, c’est de transporter par avion les lettres des Poilus vers l’arrière du front. Un jour son avion est abattu au dessus de l’océan. Quand le pilote se réveille, il est échoué sur une ile déserte. Enfin pas si déserte que ça : Céleste se retrouve nez-à-nez avec une tribu d’amazones. Devenu prisonnier, sa captivité va remettre en cause bien des certitudes sur sa « virilité ».

Le dessinateur et scénariste Zanzim nous offre ici une bouffée de légèreté et d’humour. Son scénario manie avec beaucoup de malice les stéréotypes « à l’ancienne » des français : casse-cous, séducteurs, spécialiste de  la gastronomie et des mots d’amours. Le trait dynamique de l’auteur contribue quant à lui au côté bondissant et rythmé de l’aventure. Les personnages sont très expressifs et Zanzim manie avec beaucoup de talent l’art du second degré. Pour conclure son histoire, « L’île aux femmes » retrouve un ton plus sérieux et doux-amer. De bout en bout, cet album est un bonheur de lecture.

"Lîle aux Femmes" de Zanzim, publié chez Glénat.

Ci-dessous, Zanzim dresse le portrait de Céleste Bompard avant qu'il n'arrive sur "L'île aux femmes"

Extrait de "L'île aux Femmes" de Zanzim (c) Glenat

Extrait de "L'île aux Femmes" de Zanzim (c) Glenat