La Constitution américaine (1971) garantit aux citoyens le droit de posséder une arme afin de se protéger. Photo : AFP / George Frey

Armes à feu : démêlez le vrai du faux

C’est la 235e fusillade de masse depuis le début de l’année. Hier, trois personnes sont mortes à Jacksonville (Floride), dont le tireur, lors d’un tournoi de jeux vidéo. Une tragédie qui véhicule, une nouvelle fois, de nombreuses idées reçues sur les armes à feu. Décryptage en quatre points.

Les fusillades de masse se multiplient.

VRAI. Aux États-Unis, une fusillade est considérée comme "de masse" (mass shooting) dès lors que quatre personnes sont atteintes par balles. Bien que celles-ci ne représentent encore qu’une petite partie des décès liés aux armes à feu, les fusillades de masse ne cessent d’augmenter depuis une dizaine d’années. Selon l'organisation Gun Violence Archive, on en dénombrait 270 en 2014 contre 346 en 2017, soit une hausse de plus de 28% en quatre ans. Entre ces mêmes dates, le nombre de morts par armes à feu est passé de 12 549 à 15 638 par an.

Les victimes des fusillades sont frappées au hasard.

FAUX. Les tragédies dans les lieux publics – concert en plein air à Las Vegas, boîte de nuit en Floride, université de Virginia Tech etc. - donnent l'impression que les victimes n'ont aucun lien avec le tireur. Cependant, la plupart des fusillades sont dirigées contre une personne ou une institution envers laquelle l'auteur a un grief. Un des derniers exemples en date? La fusillade d'Annapolis, en juin dernier, dans laquelle cinq salariés du Capital Gazette ont trouvé la mort. Le tireur entretenait des rapports conflictuels avec le journal. En 2012, il avait attaqué en diffamation la publication et proféré des menaces dans un tweet.

Le nombre d’armes à feu en circulation est supérieur au nombre d’Américains.

VRAI. Il n’y a pas de chiffres officiels sur les ventes d’armes, ni de registre sur les propriétaires. Cependant, on estime qu’il y aurait près de 400 millions d’armes à feu aux États-Unis pour 325 millions d’Américains. La raison est simple : les propriétaires d’armes à feu en détiennent très souvent plusieurs, 17 en moyenne par adulte. Selon des données obtenues par des chercheurs des universités Harvard et Northeastern, 3% de la population américaine détient à elle seule la moitié des armes à feu aux États-Unis. D'après une étude du Pew Research Center, le possesseur type serait un homme blanc partageant les idées du parti républicain, installé en zone rurale et utilisant ses armes pour chasser.

Il est facile de se procurer une arme dans tous les Etats.

FAUX. La Constitution américaine garantit aux citoyens le droit de posséder une arme afin de se protéger. Il appartient ensuite à chaque Etat de voter des restrictions qui lui sont propres. En Californie, la législation est l'une des plus strictes du pays. L'acheteur ne doit pas seulement posséder un permis. Il est aussi soumis, entre autres, à un test écrit. La loi interdit également aux civils l'acquisition d'armes d'assaut automatiques. Au contraire, le Texas est l'un des Etats les plus permissifs.

H.G et C.L

Des réseaux sociaux aux médias plus traditionnels, quand les théories du complot s’emparent de la fusillade de Parkland

Porte-parole du FBI, militants gauchistes anti-armes, complices du parti démocrate : depuis la fusillade, les partisans de la théorie du complot accusent les lycéens à l’origine de la campagne "Never Again" d’être pilotés par des groupes d’intérêts anti-armes. Des réseaux sociaux aux médias traditionnels, comment les idées complotistes sont-elles propagées ? Analyse. 

Le déferlement de théories du complot à la suite d’évènements dramatiques et de fusillades comme la tuerie de Parkland en Floride est chose courante aux États-Unis. Ces thèses complotistes proviennent des profondeurs d'Internet - souvent de 4chan ou de Reddit, des réseaux d’échanges d’images et d’informations anonymes particulièrement controversés - et sont ensuite partagées sur les réseaux sociaux Twitter, via des comptes conservateurs, nationalistes ou d’extrême-droite.

Depuis la fusillade de Parkland, les conspirationnistes ont pris pour cible les survivants du drame qui réclament un meilleur contrôle des armes à feu. Ces derniers soutiennent par exemple que les étudiants survivants s’expriment trop bien dans les médias pour ne pas être des professionnels rémunérés. Une enquête de CNN dans les archives politiques du site 4chan, une plate-forme prisée des adeptes des théories du complot où des anonymes peuvent poster des images et engager des discussions de tout genre, a d’ailleurs relevé que le nom de David Hogg, étudiant de Parkland à l’origine du mouvement  "Never Again", a été mentionné sur le site au moins 121 fois.

Moins d'une heure après la fusillade au Lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland le 14 février dernier, plusieurs comptes Twitter  ont également prétendu que les témoins interrogés par les médias traditionnels étaient des "acteurs de crise". Le terme se réfère aux personnes payées pour jouer des victimes de désastre dans des exercices de secours. Plus récemment, l'expression a été récupérée par les conspirationnistes qui prétendent que les fusillades sont des événements mis en scène par des groupes d’intérêts anti-armes dont l’objectif serait de retirer aux Américains le droit de porter des armes.

Des théories diffusées sur les réseaux sociaux

De Twitter à Facebook, en passant par Youtube, les réseaux sociaux sont les principaux canaux de diffusion des théories du complot et des fausses nouvelles. En effet, ils permettent à des individus, isolés ou organisés, de diffuser des informations infondées sans que ces dernières n’aient besoin d’être relayées par les médias traditionnels. Les algorithmes, les recherches par mots-clés et les contenus tendance des réseaux sociaux permettent quant à eux d’atteindre facilement les personnes sensibles aux idées conspirationnistes.

La fusillade de Marjory High ne fait pas exception. Un tweet viral d'un compte Twitter maintenant suspendu, @LagBeachAntifa9 localisé par les services de Twitter en Russie, a faussement affirmé que David Hogg a été scolarisé au lycée de Redondo Shores en Californie d’où il aurait été  diplômé en 2015. Le tweet a rapidement été diffusé sur 4chan. Pour démentir les accusations, un camarades de classe du lycéen de Parkland a publié une vidéo montrant leurs photos dans leur album des finissants 2017.

Quelques jours seulement après la tragédie, une vidéo largement visionnée sur YouTube a présenté Hogg comme "un acteur de crise", reprenant hors contexte une interview donnée par le lycéen  à KCBS, une chaine de télévision locale californienne en août 2017. A l’époque, Hogg avait été témoin d'une confrontation violente entre un sauveteur et surfeur sur une plage de Californie, où il était en vacances. Les conspirationnistes soutiennent que sa présence sur cette place n’était pas un hasard. Bien que la vidéo ait été retirée par YouTube pour violation de ses politiques contre l’intimidation et le harcèlement, cette fausse accusation a permis d’alimenter les théories du complot entourant la fusillade.

Sur Facebook, une vidéo publiée par la page d’extrême-droite américaine Survive Our Collapse contenant l’interview détournée de David Hogg en Californie a été vue plus de 2 millions de fois avant que Facebook ne la retire. Elle a depuis été modifée, retéléchargée sur la même page et partagée plusieurs dizaines de fois.

Des réseaux sociaux aux canaux officiels

Si ces théories du complot naissent généralement sur les réseaux sociaux, elles sont parfois relayées par certains médias plus traditionnels.  Alex Jones, un adepte des théories du complot et fondateur du média en ligne complotiste et proche des milieux d’extrême-droite InfoWars doute lui aussi de l'authenticité des étudiants de Parkland. L'Américain, également connu pour avoir diffusé la théorie selon laquelle la fusillade dans l'École primaire de Sandy Hook à Newtown au Connecticut en 2012, était un canular, reconnaît que "des gens réels ont été touchés" par la fusillade de Parkland, mais maintient lui aussi que David Hogg et ses comparses sont des acteurs de crise. Dans une vidéo publiée sur Youtube le 15 février, l'animateur de radio a également avancé la théorie selon laquelle la tuerie de Floride serait une opération menée sous "fausse bannière", c’est-à-dire une opération gouvernementale cherchant à détourner ou orienter le débat public.

Pour soutenir ses théories, InfoWars a montré à plusieurs reprises à ses 2.2 millions d'abonnés YouTube des copies d'écran de l’interview de David Hogg sur KCBS  en association avec d'autres images afin de prouver que les étudiants de Parkland sont bien "des acteurs de crise".

Plusieurs médias ont rappelé le fait que le père de David Hogg est un agent du FBI à la retraite. Pour le site The Gateway Pundit, un site d'extrême-droite accrédité à la Maison Blanche, cela prouverait le lien entre les étudiants de Parkland et les pouvoirs publics tels que le FBI, qui chercheraient à restreindre les droits constitutionnels des Américains et à accroître leur pouvoir.

Qui est à l’origine de ces théories?

Selon plusieurs études réalisées l’an dernier, ces conspirationnistes seraient généralement des citoyens américains blancs, peu diplômés provenant des régions rurales des États-Unis, dans les États où Donald Trump a réalisé d’excellents scores aux élections présidentielles de novembre 2016. Très attachés à l’esprit des fondateurs des États-Unis, ils promeuvent un conservatisme rigide et un nationalisme affirmé. Leur foi dans les complots qu’ils dénoncent semble être inébranlable.

Les profils Facebook, en majorité masculins, ayant relayés les contenus complotistes sur  la page Facebook de Survive Our Collapse, venaient d’ailleurs en majorite de l’Alabama, du Montana ou de l’Oklahoma.

Pour l’historien français Pierre Rosanvallon le succès du complotisme s’explique par le fait qu’il "prétend redonner de la rationalité dans un univers confus et rend lisible un monde que l’on pense comme opaque, insaisissable". Selon lui, les théories du complot donneraient l’impression à ces citoyens de participer à la société.  "L’évocation du complot redonne la possibilité d’agir sur les choses. On nomme un complot, ça veut dire qu’il y a un responsable, que si on l’atteint la société peut changer. Le complotisme prétend donner une intelligence du monde et une capacité d’agir sur les choses", expliquait-il au micro de France Culture lundi 26 février.

Quelle responsabilité pour les réseaux sociaux ?

Compte-tenu de l’influence toujours plus grande des réseaux sociaux dans le débat public, les différentes entreprises de technologie telles que Twitter et Facebook sont amenées à repenser leurs conditions d’utilisation afin de mieux contrôler la diffusion de ces théories du complot qui peuvent y perdurer plusieurs années.

Mercredi dernier, YouTube a retiré une vidéo de la page d'InfoWars.  La vidéo intitulée "David Hogg Can't Remember His Lines In TV Interview" (David Hogg ne peut pas se rappeler de ses lignes en interview) ne respectait pas les conditions d’utilisation de l’entreprise. "L'été dernier, nous avons mis à jour l'application de notre politique de harcèlement afin d'inclure les vidéos de canular qui ciblent les victimes de ces tragédies […] Toute vidéo signalée qui enfreint cette règle est examinée puis supprimée", à déclare un porte-parole de Youtube.

Interrogé par CNN sur ses politiques de lutte contre les théories du complot, Facebook a déclaré que ses normes communautaires prévoient conséquences en cas de violation des politiques du réseau social et que la punition dépend "de la gravité de la violation et de l'historique de la personne sur Facebook". Dans le cas de la page Survive Our Collapse , il est cependant impossible de savoir précisément quel aspect des normes de Facebook a été violé.

Si les réseaux sociaux retirent de temps à autre les contenus complotistes, ils ne le font souvent que lorsque ces derniers sont dénoncés par des utilisateurs ou les médias. Guillaume Chaslot, ancien ingénieur chez Youtube, a affirmé au Washington Post que ces entreprises n'ont pas fait assez pour éliminer les contenus complotistes.

Fin 2016, quand il est devenu évident que la publication de fausses nouvelles sur Facebook avait influencé l'élection présidentielle américaine, Mark Zuckerberg a décrit les mesures que l'entreprise avait prises pour combattre l'épidémie. Une de ces initiatives consistait à s'associer au Réseau International de Vérification des Informations de l’Insititut Poynter, une école de journalisme américaine à but non-lucratif, pour vérifier la véracité des reportages signalés comme de fausses nouvelles. Les employés chargés de la vérification des faits ont depuis fait part dans plusieurs journaux de leurs préoccupations au sujet du refus de Facebook de publier des statistiques sur leur travail, même en interne, ce qui pourrait prouver un échec de la mesure.

Dans une tribune de juin 2017 publiée sur le blog de Twitter, Colin Crowell vice-président de la compagnie délégué aux politiques publiques affirmait de son côté que les responsables du réseau social n'ont pas à être "les arbitres de vérité". "Journalistes, experts et citoyens engagés sont côte à côte, corrigeant et contestant le débat public à chaque seconde", a-t-il déclaré. Une déclaration qui illustre bien le dilemme auquel les reseaux sociaux doivent aujourd’hui faire face. Si ces derniers ne veulent pas perdre leur crédibilité  à cause de multiplication de fausses informations, ils ne souhaient pas non plus jouer les gendarmes ni se lancer à la poursuite des comptes qui en sont à l’origine.

L’inaction latente des réseaux sociaux à répondre à l’explosion de ces théories infondées laisse la voix libre aux complotistes qui peuvent poursuivre les familles des victimes pendant plusieurs années. Selon Joan Donovan qui étudie la manipulation des médias au think tank Data & Society, les théories du complot entourant la fusillade de Sandy Hook en 2012 continuent de hanter les familles des victimes, harcelées par des internautes cherchant à savoir si leurs enfants ont bel et bien perdu la vie dans la fusillade.  "Pour les années à venir, croit-il, ces étudiants de Parkland vont devoir subir le même sort."

Jules Béraud

FILE - In this Jan. 19, 2016 file photo, handguns are displayed at the Smith & Wesson booth at the Shooting, Hunting and Outdoor Trade Show in Las Vegas. Nearly two-thirds of Americans expressed support for stricter gun laws, according to an Associated Press-GfK poll released Saturday, July 23, 2016. A majority of poll respondents oppose banning handguns. (AP Photo/John Locher, File)

Après la fusillade de Parkland, pourquoi le Congrès hésite à contrôler les armes à feu?

Avec 17 morts, la fusillade du 14 février dernier, au lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland en Floride, est la plus meurtrière en milieu scolaire depuis la tueries de l'école élémentaire Sandy Hook en 2012. Comme après chaque tuerie, de nombreux Américains ont pris d'assaut les médias et réseaux sociaux pour relancer le débat sur le port d'armes à feu. Malgré tout, les États-Unis ne semblent toujours pas prêts à resserrer leurs lois sur le contrôle des armes à feu. Décryptage.

Mercredi, moins d’une heure après l’arrivée de la police sur les lieux de la tuerie provoquée par Nikolas Cruz, un ancien étudiant du lycée de 19 ans, Donald Trump a exprimé ses condoléances aux familles des victimes sur Twitter.

"Mes prières et mes condoléances aux familles des victimes de la terrible fusillade en Floride, aucun enfant, enseignant ou autre ne devrait se sentir en danger dans une école américaine".

Excédée par la réaction du président américain, Sarah Chadwick, 16 ans, lycéenne dans l’établissement où a eu lieu la tuerie, a craquée et a attaqué avec virulence le locataire de la Maison Blanche.

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 "Je ne veux pas de vos condoléances, p**t** de m*rd*, mes amis et professeurs ont été fusillés. Plusieurs de mes camarades de classe sont morts. Faites quelque chose au lieu d'envoyer des prières. Les prières ne règleront pas cela. Mais le contrôle des armes empêchera que cela se reproduise"

Le message de la jeune américaine a été largement partagé sur les réseaux sociaux : avant sa suppression, le tweet de Sarah avait été liké plus de 346 000 fois et retweeté par près de 144 000 comptes.

La population américaine est exaspérée par ces drames, beaucoup trop réguliers. Pour autant, la création d’une réglementation sur la possession d’armes à feu aux États-Unis est difficile à imaginer.

Dans un article paru jeudi, CNN explique les raisons pour lesquelles l’opinion publique américaine (et pas seulement les lobbys, comme la très puissante National Rifle Association) rend difficile le contrôle des armes à feu par le Congrès.

Les Américains sont très polarisés sur la question armes du contrôle des armes à feu

Harry J. Entern a examiné l’année dernière les réponses à dix questions, posées par le Pew Research Center à un échantillon représentatif de la population américaine, allant de l'avortement au libre-échange en passant par le mariage pour les personnes de même sexe. Les Américains étaient plus polarisés sur la politique des armes à feu que sur tout autre problème (mis à part la construction du mur à la frontière avec le Mexique).

Dans le dernier sondage du Pew sur le sujet, 79% des partisans républicains étaient contre la limitation de l'accès aux armes à feu. Seuls 20% des partisans démocrates partagent cette position. En d'autres termes, il y avait un écart partisan stupéfiant de 59 points de pourcentage sur la question. En effet, comme l'a souligné Nate Cohn du New York Times, peu de questions étaient plus prédictives du choix du vote aux élections de 2016 que la possession d'armes à feu.

De plus en plus d’Américains sont contre une politique de contrôle des armes à feu

Pendant plusieurs années, le Pew Research Center a sondé la population américaine pour savoir si elle était plus favorable à la protection du deuxième amendement ou au contrôle de la possession d'armes à feu. En 1993, 35% des américains ont répondu la protection des droits sur les armes alors que l’an dernier, 47% ont déclaré que la protection du deuxième amendement était plus importante que le contrôle des armes à feu.

Les défenseurs des armes à feu déterminent leur vote grâce à cette question

L'année dernière, Gallup (un autre institut de sondages) a demandé aux Américains s'ils ne voteraient que pour un candidat qui partageait leurs points de vue sur la politique des armes à feu ou s'il s'agissait de l'un des nombreux facteurs importants qu'ils prendraient en compte avant de voter. Parmi les propriétaires d'armes à feu, 30% ont déclaré qu'ils ne pouvaient voter que pour quelqu'un qui partageait leur point de vue. Parmi ceux qui ne possédaient pas d'armes à feu, c'était 20%.

Aussi depuis 2000, le pourcentage de propriétaires d'armes à feu qui ont déclaré que les questions liées aux armes à feu déterminaient leur vote a grimpé de 17 points. Il a augmenté de seulement 10 points parmi ceux qui ne possédaient pas d'armes à feu.

Même si certains responsables républicains étaient tentés de soutenir un contrôle plus strict des armes à feu, ces chiffres suggèrent qu'ils pourraient renoncer parce que les défenseurs des droits des armes à feu sont plus susceptibles de faire entendre leur voix.

Le soutien au contrôle des armes à feu peut augmenter momentanément mais ne dure généralement pas

Le soutien aux mesures de contrôle des armes à feu augmente parfois après les fusillades massives. Après les fusillades de Columbine (20 avril 1999) et de Sandy Hook (14 décembre 2012), les Américains étaient plus susceptibles de soutenir le contrôle des armes à feu que pendant d’autres périodes dans la mesure où ces événements tragiques ont été médiatisés plus largement que d’autres fusillades récentes.

Compte-tenu de la tournure médiatique des événements et de l’écho particulier des propos des partisans du contrôle des armes à feu dans la société américaine, il est probable que le soutien pour le contrôle des armes à feu puisse temporairement augmenter. Cependant, les antécédents suggèrent que tout choc dans l'opinion publique en faveur du contrôle des armes à feu ne tiendra pas : La tendance à long terme est contre le contrôle des armes à feu.

Jules Béraud

Pourquoi un contrôle des armes à feu est difficilement envisageable aux États-Unis

Columbine, Virginia Tech, Newtown, Orlando, Las Vegas... À chaque nouvelle tuerie de masse, le débat sur le contrôle des armes à feu est relancé aux États-unis, notamment par le camp des Démocrates. Mais le mouvement contestataire se heurte à plusieurs obstacles d'ordre politiques, historiques et culturels. Pourquoi les armes sont-elles mises sur un piédestal ?

Un droit protégé par la Constitution 

La Constitution américaine est, selon ses propres termes, la "loi suprême du pays". Depuis sa mise en vigueur en 1789, cette ordonnance a approuvé 27 amendements. Les 10 premiers sont collectivement connus sous le nom de la "Déclaration des Droits". Et c'est justement vers le Deuxième amendement que tous les regards sont tournés. Celui-ci autorise chaque citoyen américain à détenir et à porter une arme : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé".

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Ce droit constitutionnel a été légitimé par la Cour suprême en juin 2008, en "invalidant l'interdiction des armes de poing en vigueur depuis 1976 dans la ville de Washington", comme le rappelle le journal Le Monde. Le Deuxième amendement semble être entouré d'une aura sacrée, si bien que les débats quant au contrôle du port d'armes demeurent, jusque-là, vains.

"Personne n'a jamais demandé l'abrogation du Deuxième amendement qui serait impossible, c'est pourquoi le débat n'a porté que sur l'interprétation du texte, explique Didier Combeau, spécialiste des États-Unis et auteur de l'ouvrage Des Américains et des armes à feu. Même s'il n'existait pas, le gouvernement fédéral ne pourrait pas facilement réglementer la détention et le port d'armes, car c'est une prérogative des États fédérés en raison du Dixième amendement. Il pourrait seulement réglementer le commerce (par exemples, l'interdiction de fabrication ou d'importation, contrôle des antécédents psychiatriques et judiciaires lors d'un achat), ce qui laisserait entier le problème des armes déjà en circulation". 

Un droit défendu par le lobby des armes 

Le droit de porter une arme est défendu par la National Riffle Association (NRA). Cette association pro-armement soutient les fabricants d'armes et promeut le libre commerce de celles-ci. La NRA comptait 5 millions d'adhérents en 2013 et ne cesse de séduire de nouveaux membres à travers le pays. Cet organisme, au comportement extrême, est réfractaire à toute forme de négociation et refuse toute communication avec les médias.

"La NRA a commencé à faire pression sur les mesures de contrôle des armes à feu au début des années 1930. Elle était novatrice pour l'époque, dans sa façon de mobiliser ses adhérents pour inonder de lettres les membres du Congrès", développe l'historienne Pamela Haag, auteure du livre The Gunning of America.

Le lobby pro-armes influence la sphère politique, en soutenant financièrement les campagnes des candidats favorables à ses idées. Cet élément explique donc l'absence de décisions des présidents quant à un éventuel contrôle de la vente d'armes dans le territoire. "Comme à l'école, elle attribue des notes de A à F à tous les candidats en se fondant sur leurs prises de position sur les armes. C'est redoutable car une minorité d'électeurs se décident sur ce seul critère, qui peut faire perdre une élection", met en garde Didier Combeau.

Un culte sacralisé par Hollywood 

Le cinéma hollywoodien influence indéniablement la société. Les exemples de films mettant en scène la violence et les armes ne manquent pas. "Hollywood est la capitale symbolique de la culture des armes à feu en Amérique. À travers d'innombrables émissions de télévision et de films, l'arme a atteint des pouvoirs mythiques en tant qu'agent de justice, de violence, de peur et de rédemption", confirme William Doyle, auteur d'American Gun : A History of the US in Ten Firearms.

Suite à la fusillade de Las Vegas, la plateforme de streaming Netflix et les studios Marvel ont suspendu la campagne de promotion de la série "The Punisher", la jugeant inappropriée. Frank Castle alias The Punisher (le Punisseur en français) incarne l’esprit de vengeance et de justice personnelle. Impitoyable, il préfère tuer ses adversaires plutôt que de les livrer à la justice.

Yelen Bonhomme-Allard