Crimée : jusqu'où les Européens iront-ils ?

 

UE-USA summit, 26 march 2014

 

C’est désormais une évidence : le retour de la Crimée dans le sein nourricier de la mère patrie russe a permis à Poutine de tester les limites et la crédibilité des Occidentaux. Fuite en avant, retour de manivelle de l’idée impériale, volonté de "récupérer" une partie des citoyens russes dans le « proche étranger », exacerbation nationaliste, les interprétations de la geste poutinienne ne manquent pas.

Mais face à ce défi, « cette rupture majeure de l’ordre international en Europe et dans le reste du monde », soulevée par les dirigeants du G7, réunis à la Haye, quelle sera la riposte des Européens et surtout que veulent-ils ?

« Restons unis », ce leitmotiv, égrené de Washington à Bruxelles, masque à la fois une réelle inquiétude et des postures différentes entre les alliés. Double désaveu pour Obama : sa politique du reset (relance) avec Moscou impulsée en 2009 est un échec. De plus, Poutine donne un coup d’arrêt définitif à l’expansion de l’OTAN, lancée à la fin de l’URSS vers les frontières de la « Grande Russie ». Côté européen, la démilitarisation croissante de nos sociétés, critiquée à mots couverts par Barack Obama, lors de sa visite à Bruxelles, prive nos diplomaties d’un atout majeur. Face à Poutine, bercé dans l’idéologie bolchevique du rapport de forces, le soft power européen redécouvre, tout à coup, que « la raison du plus fort est toujours la meilleure. » Et pour masquer, leur vide stratégique, à l’instar de F. Hollande, les Européens proclament en chœur « la dissuasion aujourd’hui n’est plus militaire, elle est économique. » Il faut donc sanctionner mais graduellement, délicatement et rester unis. Éviter de déclencher l’arme économique, qui telle la bombe nucléaire, ravagerait les deux camps. Cette voie, chacun le reconnaît en catimini, à Bruxelles, mène à l’impasse.

Alors, reste le symbolique : « remplacer » provisoirement le G8 de Sotchi par un G7 à Bruxelles. L’idée, ce sera bien sûr de réintégrer un jour la Russie, en lui imposant une conditionnalité minimum: reprise du dialogue avec Kiev, désescalade militaire, fin des provocations en Ukraine de l'Ouest. Bref, quelques gestes d’apaisement et les Européens, qui ont eu très peur, seront soulagés. Les portes du dialogue restent ouvertes a répété Barack Obama à Bruxelles. Pour les Ukrainiens, en revanche, la conditionnalité sera plus forte: aide financière sous les fourches caudines du FMI, en contre partie de vraies réformes et volonté politique de lutter contre la corruption. Mais attention, a rappelé L. Fabius, lors de la réunion du G7 à La Haye, "la réforme ne doit pas tuer le malade". On pourra ensuite évoquer le statut futur de l'Ukraine: une société plus démocratique que la société russe, mais un Etat pas tout à fait libre du choix de ses alliances, sorte de zone grise entre ces deux grands acteurs que sont l'Union Européenne et la Russie. Cette neutralité imposée à Kiev, avatar moderne de la "finlandisation" suppose bien entendu, un accord tacite entre Poutine et Obama.

D'ici là, personne n'a intérêt à faire monter les enchères. Pour l'Allemagne, le montant direct des investissements (IDE) en Russie représente 19 milliards d'euros, pour la France 12 milliards, et 8 milliards pour l'Italie. "Business as usual", répètent en sourdine les milieux économiques européens et russes... Alors, jusqu'où les Européens iront-ils? Pour parodier Claude Cheysson, lors du coup d'état en Pologne: pas très loin, naturellement.

Pascal Verdeau, le 27 mars 2014

Publié par Pascal Verdeau / Catégories : Non classé