Courir pour être "comme les autres"

Pour lui comme pour nous, c'est une première. D'ici une dizaine de jours, Yonas Kindé disputera l'épreuve mythique du marathon (42 km). Et pour ses premiers Jeux, il défendra les couleurs d'une équipe inédite : celle des réfugiés. Rencontre avec un athlète pas comme les autres.

De l'Ethiopie à l'Allemagne (euh non, au Luxembourg) 

Yonas fuit l'Ethiopie en 2012, pour des "raisons de sécurité". Un sujet sensible, qu'il évoque avec réluctance et précaution. "Je suis désolé mais je préfère ne pas en parler. J'ai encore de la famille là-bas et c'est dangereux". Après avoir quitté son pays d'origine, il se réfugie au Luxembourg. Un peu d'humour au coeur de cette tragédie : l'espace de quelques jours, Yonas croit qu'il se trouve en fait en Allemagne ! "Dans mon pays, on ne connaît pas le Luxembourg". Incroyable mais vrai, ce n'est qu'au bout d'une semaine qu'il se rend finalement compte qu'il foule le sol luxembourgeois. Yonas commence alors à apprendre le français, une langue qu'il tente d'apprivoiser depuis quatre ans et qu'il domine désormais quasiment.

Courir comme les champions d'Ethiopie  

Pour Yonas, le Luxembourg est la terre de la paix, l'îlot après le naufrage. Et c'est aussi l'occasion de continuer la course à pied, discipline à laquelle il a déjà dédié plus de la moitié de sa vie. "En Ethiopie, l'athlétisme est un sport très populaire" explique celui qui totalise 19 ans de pratique à seulement 36 ans.

En plein entraînement au Luxembourg

En plein entraînement au Luxembourg

La voix teintée d'admiration, Yonas évoque les athlètes qui ont bercé sa jeunesse et se sont hissés au rang de héros nationaux. "J'écoutais la radio, je lisais le journal et je voyais leurs noms" se rappelle le sportif, qui a eu l'occasion de s'entraîner avec ceux qu'il considère comme ses modèles. Mais parmi les champions, il y en a un qu'il vénère tout particulièrement. Ce champion des champions, c'est Abebe Bikela, marathonien éthiopien doublement médaillé d'or aux Jeux Olympiques.

Pour égaler ses idoles, Yonas s'est acharné. "Au début, je courais pour gagner la compétition à l'école et je trouvais ça dur. Maintenant, je cours pour gagner et pour le plaisir. Ça me fait très plaisir de courir". Et au vu de l'entrainement drastique qu'il s'impose, heureusement que Yonas aime courir. Tous les jours, il avale entre 20 et 38 kilomètres, sans compter les exercices de musculation. Un quotidien marqué par un dur labeur, dont il récolte aujourd'hui les fruits en participant à ses premiers Jeux.

Course

Réfugié et fier de l'être 

Pour Yonas, cette participation aux Jeux a une saveur particulière. Parce que pour lui, la qualification aux JO n'est pas qu'une question sportive. Elle revêt aussi un aspect politique et administratif complexe. Yonas fait partie de ces individus rejetés et invisibles, qui ne sont chez eux nulle part. "Il y a plusieurs compétitions mondiales auxquelles je n'ai pas pu participer en raison de ma situation" explique-t-il. Une situation pesante et délicate, partagée par des dizaines d'autres sportifs, et à laquelle le Comité Olympique a (finalement) décidé de mettre fin en créant une équipe de réfugiés. Pour cette première année, ils sont dix. 10 athlètes, de 4 pays différents,  soigneusement sélectionnés parmi une quarantaine de candidats. Yonas est fier d'être l'un des heureux élus. "Je suis très content, c'est vraiment quelque chose d'extraordinaire". Profondément enthousiaste, il ne tarit pas d'éloges sur son équipe. "On est très bien organisés. Au Village Olympique, on est comme un pays. On dort ensemble, avec nos entraîneurs, nos médecins, nos kinés. Vraiment, on a tout".

Équipe

Un tonnerre d'applaudissement et des selfies par dizaine  

Question ambiance, Yonas ne semble pas non plus déçu. La preuve en images, avec toute une panoplie de selfies. Affublé de lunettes burlesques, planté devant les drapeaux ou debout aux côtés de Ban Ki-moon, le sportif capture chaque instant de son aventure olympique. Une aventure qu'il partage d'ailleurs avec les 9 autres athlètes réfugiés. "On vient de différents endroits du monde, mais on est comme une famille. On mange ensemble, on discute ensemble, on partage les visites. C'est génial". Génial : tel est le qualificatif qui revient incessamment dans la bouche de Yonas. C'est le mot qu'il utilise pour évoquer son sport, son équipe, son expérience olympique, et, surtout, son défilé lors de la cérémonie d'ouverture. Vendredi dernier, l'équipe des réfugiés a électrisé la foule du Maracana, suscitant un remarquable tonnerre d'applaudissements et d'encouragements. "Tout le monde criait pour nous. C'était unique".

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"Etre comme les autres"

Pour Yonas, cette première expérience se place donc sous le signe de la découverte. Savourer le plaisir de rencontrer de nouvelles personnes, de "vivre dans une maison tous ensemble". Profiter du privilège de rencontrer les meilleurs marathoniens au monde. Cette année, Yonas n'envisage pas la possibilité de la médaille. Modeste, il appréhende avant tout les Jeux Olympiques comme une belle occasion "d'apprendre, en courant avec des athlètes de niveau très élevé". Mais surtout, il souhaite défendre la cause et l'honneur de ces semblables. Ceux que l'on oublie, que l'on rejette ou que l'on dénigre. "Je veux montrer le courage des réfugiés. Je veux montrer que l'on peut être comme les autres, que l'on peut faire des choses comme les autres". À Rio, Yonas ne rêve ni d'or, ni d'argent, encore moins de célébrité. Etre considéré, tout simplement, ça lui suffit.

Marie Gentric pour Fanny Lothaire