Les travailleurs précaires, ces oubliés du succès allemand

L’économie allemande semble résister à toutes les crises. Les finances publiques sont dans le vert, le taux de chômage est toujours à son plus bas historique, le plein-emploi est déjà une réalité dans plusieurs régions. Mais ce “modèle allemand", qui repose pour l'essentiel sur une flexibilité accrue du travail, semble bien fragile car il cache une autre réalité: une précarité grandissante et des disparités importantes dans la société. 

La pauvreté, malgré le travail

Le bilan économique de la chancelière Angela Merkel est à première vue excellent: en douze ans de mandat, le taux de chômage a été divisé par trois pour atteindre 5,7% en août 2017. Environ 2,5 millions d’Allemands sont actuellement sans emploi. En France, ils sont plus de 6,6 millions.

A côté de ces chiffres encourageants, d’autres données inquiètent: selon une étude de Destatis, l’institut fédéral des statistiques, 1 Allemand sur 5 serait en situation de précarité. Cette précarité s’explique principalement par l’augmentation des contrats “atypiques”. Plus de 7,7 millions d’actifs occupent un poste dit “atypique”, mini-jobs, temps partiels, ou intérim. Le contrat “mini-job” est devenu le symbole de ces emplois “précaires”. Ce petit boulot, net d’impôt, se limite à 15 heures de travail maximum par semaine et à 50 jours par an. A sa création, le salarié pouvait toucher jusqu’à 325€ par mois, le montant maximum est désormais de 450€. Selon l’agence fédérale spécialisée dans les mini-jobs, l’Allemagne compte plus de 6,5 millions de mini-jobbers, soit 40 000 de moins qu'en mars 2016.

L'introduction en 2015 du salaire minimum à 8,50€ de l’heure (aujourd'hui 8,84€) serait à l'origine de cette légère baisse. Créé il y a une dizaine d’années, ce contrat devait permettre de favoriser les embauches et lutter contre le travail au noir. S’ils permettent aux étudiants de gagner un peu d’argent à côté de leurs études, les mini-jobs sont aussi un complément de revenu indispensables pour de nombreux Allemands qui ne peuvent plus vivre de leur travail principal. Plus 2,5 millions de travailleurs allemands cumulent ainsi un contrat fixe et un mini-job, enchaînant les heures pour espérer obtenir un salaire décent à la fin du mois. Les mini-jobbers sont devenus des “Zweitjobbers”. En 12 ans, le nombre de travailleurs cumulant deux emplois a augmenté de 80,7%.

Les femmes et les retraités sont les plus touchés

Les femmes et les retraités sont désormais les plus touchés par ces emplois précaires. Selon l’agence fédérale pour les mini-jobs, près de deux tiers des mini-jobbers sont des femmes, qui ont souvent dû mettre un terme à une carrière professionnelle classique pour élever leurs enfants. Le ministère de la famille, des séniors, des femmes et de la jeunesse estime que la plupart des mini-jo,beuses enchainent pendant environ sept ans des postes de mini-jobs. Une récente étude du ministère a montré que les femmes rencontraient beaucoup de difficultés à retrouver un poste à durée indéterminée après avoir effectué des mini-jobs. En somme, une fois dans la précarité, il est très compliqué d'en sortir...

C'est le cas de Andrea Mayereder qui, à Munich commence sa journée à 3h du matin pour distribuer des journaux. Rémunérée 8,84€ de l’heure, ce minijob lui permet de compléter son salaire d’assistante dans un cabinet médical. Deux jours par semaine, elle travaille comme caissière dans un magasin de fruits et légumes, un troisième emploi:


Flexibilité de l'emploi : les perdants du modèle allemand

Une insécurité pour le salarié

Pour ses promoteurs, le mini-job présente de nombreux avantages pour le salarié : l’emploi du temps est organisé à sa demande et permet donc assez facilement d’associer études et emploi. D’autre part, l’employé ne paie aucune charge et perçoit donc un salaire net de 450€. Mais ces emplois ne bénéficient pas de la protection qu’offre un contrat à durée indéterminée. L’employeur peut licencier son employé sans préavis avec comme seul motif officiel “l’incompétence”. Alors qu’il avait été instauré pour les favoriser, le mini-job semble désormais pénaliser les vraies embauches. Le mini-job est également un poids de longue durée pour le salarié au regard de son assurance-retraite étant donné la très faible part payée par l’employeur à l’État. Les mini-jobbers d'aujourd'hui risquent donc de faire grossir les rangs des retraités pauvres de demain...

 

Par Camille Despierres