Le RB Leipzig, un miracle au goût artificiel: pourquoi ce club est le plus détesté d'Allemagne

Imaginez : un club de football créé il y a seulement sept ans, qui joue sa toute première saison en Bundesliga et qui est aujourd’hui 3ème du classement à deux petits points du Bayern. L’histoire du RB Leipzig pourrait être très belle. Oui mais non. Le RB Leipzig est le club le plus détesté, le plus haï même du football allemand.

Le RB Leipzig a tout pour incarner un joli conte comme les aime tant le football. Celui du petit qui joue des coudes avec les grands. Un club qui a gravi tous les échelons jusqu'à la Bundesliga, une équipe jeune dans une ville dynamique et un public enthousiaste. Mais derrière cette belle histoire se cache une entreprise, Red Bull, et un modèle économique qui va à l’encontre des traditions, des valeurs sacrées du football allemand. Red Bull, c’est cette entreprise autrichienne connue surtout pour sa boisson énergisante, son marketing très agressif, mais aussi pour son PDG, Dietrich Mateschitz.

Dietrich Mateschitz, PDG de Red Bull. ©GEPA

Dietrich Mateschitz, PDG de Red Bull. ©GEPA

Après Salzbourg et New-York, deux clubs déjà franchisés de l'entreprise, Red Bull a soif de foot allemand. Nous sommes en 2009. Et Leipzig arbore tous les atours pour séduire l'investisseur autrichien. Une ville de 500 000 habitants dont l'économie se porte bien, qui aimante les créatifs. Et un football qui souffre. Les deux clubs historiques, Lok et Chemie se morfondent en ligue régionale, entre problèmes financiers et descentes successives. Il y a aussi ce grand stade de 43 000 places, sans club résident et construit pour la Coupe du monde 2006 sur les cendres du Zentralstadion. Red Bull démarche d'abord Chemie et Lokomotiv. Mais les deux Ostvereine, clubs historiques de l'est, ne veulent vendre ni leur nom, ni leurs couleurs, et encore moins leur identité.

Fan du RB Leipzig. ©Imago

Fan du RB Leipzig. ©Imago

Dietrich Mateschitz rachète alors le SSV Markransdädt, club de la banlieue de la ville. Il en changera le nom très rapidement, en RB Leipzig donc. Comme Red Bull Leipzig ? Pas tout à fait. Car en Allemagne, un club ne peut porter le nom d’une marque. RB signifie donc Rasenballsport qui se traduit par sport de ballon sur gazon. Mais le message est annoncé d’entrée : Leipzig sera le club de l’entreprise, un panneau publicitaire à grande échelle. Cent millions d’euros d’investissements plus tard, ce club « en plastique » comme il est appelé en Allemagne, est donc en Bundesliga et est vu par les fans comme une menace pour la culture et l’identité du football.

Massage clair des fans du Dynamo Dresde. ©Imago

Massage clair des fans du Dynamo Dresde. ©Imago

Et la résistance à la montée du RB Leipzig s’exprime à travers des actions spectaculaires. Lors du premier tour de coupe d'Allemagne cet été, des supporters du Dynamo Dresde ont jeté une tête de taureau encore sanguinolente sur le terrain, lors de la réception de Leipzig. Fin septembre, à Cologne, des fans ont bloqué le bus des joueurs du RB, retardant le début de la rencontre. Sans oublier les nombreux supporters qui refusent de faire le déplacement à Leipzig. Pourtant, il y a d’autres clubs en plastique qui sont de fait la propriété d’une entreprise. Wolfsburg avec Volkswagen, Ingolstadt avec Audi, Hoffenheim et la société d'informatique SAP ou encore Leverkusen avec Bayer. Mais ce qui attise la colère ici, c’est l’arrogance et le mépris affichés par le RB Leipzig envers la tradition.

Le jeu des 7 différences...

Le jeu des 7 différences...

Il y a d'abord le logo du club, avec deux taureaux qui entourent un ballon, un copier/coller du logo de la boisson Red Bull. Dans un pays où l'écusson d'un club fait office de relique intouchable. Mais également la fameuse règle 50+1, censée empêcher ici un club d’être entièrement contrôlé par une seule entité. La règle interdit à un investisseur de posséder plus de 49% d’un club. Ce que respecte techniquement Dietrich Mateschitz, le chef de Red Bull. Sauf que les 51% restants appartiennent à titre personnel à des membres du conseil de surveillance de Red Bull.

Mais pour vraiment comprendre cette haine envers le RB, il faut revenir à l’essence même du foot allemand. Avec des clubs nés en grande majorité ici avec le statut d’association, ancrés dans leur milieu social. Comme dans le bassin houiller de la Ruhr, avec une forte culture ouvrière. Une culture qui transpire encore aujourd’hui à Dortmund ou Schalke. Les clubs allemands fonctionnent encore sur ce modèle avec des supporters membres qui ont une influence sur leur club. Pas à Leipzig où il faut payer une cotisation de près de 1000 euros par an, le club se réservant surtout le droit de refuser des adhésions.

Le RB Leipzig ne serait donc rien d’autre qu’une opération marketing pour vendre une boisson. Un taureau de mauvais augure sans passé mais avec un avenir qui annonce la mort d'un certain football. Ce football allemand bien seul en Europe avec encore des places debout, à un prix accessible et des Tradititionsvereine, les clubs historiques.

 

Par Julien Mechaussie