La crise grecque comme un révélateur de la personnalité d'Angela Merkel

L'idée est bien sûr de provoquer. Et quoi de mieux pour cela que de convoquer à la une l'un des clichés de l'Allemagne conquérante et dominatrice, le casque à pointe. En affublant ainsi Angela Merkel de ce martial couvre-chef, le quotidien populaire Bild ne fait pas dans la dentelle, comme à son habitude, mais il se trompe sur le fond de la pensée de la chancelière dans cette crise grecque. Il n'y a rien dans son attitude de ces derniers jours qui traduit chez elle une volonté d'en découdre frontalement. Au contraire, Angela Merkel a brillé par sa discrétion, donnant in fine l'impression de ne plus trop maitriser le cours des événements.

Une attitude qui ne manque pas de surprendre, alors qu'elle est vue comme la "femme politique la plus puissante du monde". Mais en regardant de plus près son parcours, son histoire et son "mental", on comprend mieux pourquoi la "chancelière de fer" a en fait des pieds d'argile quand il s'agit d'affronter les problèmes. Cette crise grecque est un puissant révélateur des ressorts de sa personnalité.

tasinteretavenirsinon

"Qui êtes-vous Madame Merkel ?", se demandait George Paker, dans cet excellent portrait écrit pour le magazine Vanity Fair. On la dit aussi empruntée (empotée ?) en public qu'elle peut être vive et spirituelle dans le privé. Sur les premières années de sa vie passées en RDA, elle expliquait en 1991: "J'ai l'esprit plutôt solaire, et j'ai toujours espéré une existence ensoleillée. Je ne me suis jamais laissée aller à l'amertume". Un état d'esprit qui nous dit beaucoup de choses sur son obsession du compromis. Quitte à ne pas voir arriver les difficultés...

Attention, ne pensez pas non plus qu'Angela Merkel pêche par angélisme. Celle qui, plus jeune, compensait un physique passe-partout et l'ostracisme de ses camarades de classe par une motivation forcenée dans les études s'est transformée en un redoutable animal politique. Dans le portrait de Paker, l'un de ses alliés résume assez crûment, et de manière très machiste, ce parcours: "elle s'est dit: vous me trouvez imbaisable ? Je vous baiserai avec mes armes !"

Cette confrontation permanente au machisme est une autre constante du parcours de Merkel. Pendant longtemps, personne à la CDU n'a cru à ses chances. Chancelière ? "Elle ne savait même pas se servir d'un couteau et d'une fourchette !", dira Helmut Kohl, son mentor. Kohl, justement, fera les frais de l'ambition en réalité débordante de Merkel, qui n'hésite pas à le sacrifier en pleine affaire du financement occulte de la CDU. Elle "tue" le père, s'empare de la CDU et finit chancelière en 2005.

jaaaaaaaa

C'était il y a dix ans. Merkel impressionne par sa longévité au pouvoir. Certes, les résultats économiques de l'Allemagne lui profitent. Mais sa vista politique lui a aussi permis d'écarter tous ses rivaux potentiels (notamment son ministre des Finances Wolfgang Schäuble). En même temps, elle a  anesthésié l'opposition de gauche, réduite aujourd'hui à devoir participer à une grande coalition qui ne lui profite pas électoralement. Pour cela elle a du faire preuve de souplesse, de compromis, lâcher du lest quand il le fallait, comme sur le salaire minimum. Ce qui fait dire à certains que pour Merkel, tout peut être discuté. "Elle attache une grande valeur à la liberté. Tout le reste est négociable", selon Katrin Göring-Eckardt, une dirigeante des Verts.

Mais alors, si tout est négociable, pourquoi semble-t-elle si fermée aujourd'hui au compromis avec les Grecs ? Cela est d'abord liée à sa vision de l'Europe: respect absolu des règles fixées en commun, obsession pour la compétitivité de la zone euro. On peut négocier, mais seulement dans ce cadre, dit en substance la "mère la rigueur" de l'Union. Mais surtout, Angela Merkel se retrouve aujourd'hui dans une impasse. Une impasse dans laquelle, ironie des choses, elle s'est elle-même engagée: à cause des promesses tenues aux Allemands au début de la crise en 2010, elle doit aujourd'hui envisager l'impensable pour elle, la sortie de la Grèce de la zone euro. Son "flair" politique d'alors lui revient comme un boomerang.

ouiiiiiiiin

C'est d'ailleurs un enseignement majeur de ces derniers jours de crise grecque. Angela Merkel, pourtant obsédée par l'étude de l'opinion, ne semble pas avoir pris la mesure du ressentiment allemand vis-à-vis de la Grèce. A tout le moins, elle ne l'a pas anticipé. Aujourd'hui les partisans du Grexit sont majoritaires dans la population, et sans doute aussi au Parlement. La chancelière, elle, se retrouve isolée. C'est très clairement la pire crise qu'elle doit affronter depuis le début de sa carrière politique et elle aura bien du mal à s'en dépêtrer. A moins que nous la sous-estimions. Encore une fois.