Terrorisme, images et information: de lancinantes questions. (2)

 

 

 Au début des années 1990 il fallut comprendre et rendre compte d’une autre réalité violente. L’islamisme du GIA vint frapper l’Algérie de plein fouet. Il y fit un nombre massif de victimes, d’ailleurs encore imprécis… au moins plusieurs milliers. La France fut concernée au premier chef. Assassinat, bombes dans le métro, les trains et même un square, des morts, des blessés…

 

L'islamisme tueur, de l'Algérie à la France

 

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Alors que le sigle GIA s’affiche au jour le jour dans les médias, on découvre l’implication d’un jeune algérien immigré à Vaulx-en-Velin, Khaled Kelkal. A l’époque, ses communiqués de revendication arrivaient par fax. ( la préhistoire) La traque de cet homme et de ses complices fut attentivement suivie par les médias. Elle mit parfois en lumière des divergences au sein des équipes des policiers enquêteurs. La mort de KelKal fit polémique, comme souvent quand l’auteur de l’action violente est abattu par les forces de l’ordre. Nous étions en septembre 1995, la vidéo de la fin du jeune homme connut un sort "problématique". Les caméras de M6 Lyon étaient si proches qu’elles avaient enregistré un « finis le ! finis le ! » venu des gendarmes alors que Kelkal gisait à terre. La séquence fut coupée dans un premier temps. « Il n’allait pas manquer de tirer encore », répliquèrent en substance, les enquêteurs comme pour tenter de se justifier. A front renversé, cette fois, c’est donc le comportement des autorités qui était mis en cause par l’image.Un an plus tard, ce sont des hommes d'église, les moines du monastère de Tibhirine  qui sont pris en otages et finalement décapités ( déjà) dans les montagnes algériennes. Aujourd'hui encore, la justice peine à établir la vérité des circonstances...Le GIA, d'autres responsables?

L'accélération du temps médiatique 

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La décennie 1990 vit aussi un autre phénomène, médiatique celui-là : l’accélération du temps. Déjà, à la télé avec CNN en 1980, puis à la radio avec France Info en 1987, l’actualité se vivait à flot continu. Les rédacteurs en chef des journaux écrits ou télévisés se baladaient l’écouteur vissé dans l’oreille, à l’affût de l’info urgente susceptible de bousculer leur édition. A titre personnel, j’en ai encore les esgourdes tout endolories. Avec LCI, I Télé et plus tard dans les années 2000 BFM Tv, le temps réel devint une composante structurante du récit de l’actualité. Dès 1998,  le monde arabe avait ajouté sa voix dans ce concert de l’actu permanente. La chaîne Al Jazeera commençait à diffuser sans discontinuer depuis Doha au Qatar. Une autre vision des événements prenait place et cela dans 35 pays. Les rapports de force entre les composantes jihadistes allaient y trouver un canal approprié et même exclusif. Tel était la voie suivie par les cassettes produites par Al Qaïda. Chaque diffusion donnait le tempo des mots d'ordre du chef. On scrutait l'image, le son. Les médias commençaient à se doter de moyens de validation de ces documents avant les reconnaissances officielles... Et les coupoles de se multiplier sur les toits de France.
Cette fois donc, une concurrence multiple et diverse, de tous les instants s’engageait sur le terrain même des images.

 Les Twin Towers, l'événement monstre

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Et puis, il y eut « l’événement-monstre » selon l’expression utilisée par l'historien Pierre Nora. Des avions de ligne qui se précipitent en nombre sur des cibles au cœur même du territoire des Etats-Unis. Le spectacle « dans la durée », de la destruction des tours jumelles de Manhattan en est, et pour longtemps, l’hyper représentation (on parlait à l’époque d’hyper terrorisme). Le monde entier se mit à vivre synchronisé devant les écrans de télévision. Le web lui s’était techniquement effondré, mais ce n’était que partie remise. Dans les semaines, les mois qui suivirent, des enquêtes particulièrement fouillées furent publiées. Qui avait créé Ben Laden ? D’où venait son argent ? Qui se cachait derrière AlQaïda ? Mais l’essentiel s’était joué avec le direct, durant les longues heures d’une succession d’attaques et le choc des rues de New York transformées en cité peuplée de zombies.

 La fabrication de l'image du prophète

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 Sans conteste, cette tragédie mondiale fut aussi l’événement fondateur de l’info de temps réel sur toute la planète. Les critiques qui visaient à affirmer que le direct est forcément synonyme de non intelligence battaient en retraite. On ne s’interrogeait pas sur la diffusion de l’attentat au moment où il avait lieu. On préférait s’en prendre « au montage en boucle des images spectaculaires ».

Les responsables de cette série d’attentats majeurs en faisaient naturellement une tout autre lecture. Sur ce point les analyses d’Abdelasiem Difraoui dans son livre Al-Qaïda par l’image sont éclairantes. Selon ce chercheur, « les images américaines, n’étaient pas des scènes d’horreur pour les jihadistes, mais des symboles de leur victoire…contre les croisés… Ils ont retourné une arme, la force de l’image. » Ceux là mêmes qui sont prêts à tuer et qui -à Charlie- tuent les auteurs de toute représentation religieuse jugée blasphématoire n’ont pas hésité alors à bâtir  une imagerie de leurs figures combattantes. Hissé par une stratégie de communication hors du commun terroriste, le corps de Ben Laden devint ainsi celui d’un prophète. « En d’autres termes, ajoute l’expert Difraoui, ils cherchent à devenir un mythe pour s’insérer au sein même de la mythologie islamique.» Mais comment évoquer Ben Laden à la télé sans précisément montrer les vidéos de sa propagande ? N’y a-t-il pas là un piège médiatique qui précisément est celui de la constitution d’une iconographie terroriste par les médias eux mêmes, à leur corps défendant ? Lancinante question, due à ce que les poseurs de bombes sont devenus poseurs d'images. Dans ce grand jihad à plusieurs vecteurs, nous avançons en tâtonnant… avec nos travers, nos facilités. L’utilisation de documents de propagande comme d’un fond d’illustration pour évoquer tel ou tel groupe ou action en fait partie. (je sais, je l'ai fait). Nous en avons tous pris conscience et même débattu. En tout état de cause, dorénavant l’image est partie intégrante de l’action jihadiste. Et Difraoui d’affirmer : « un martyr doit être filmé pour être un véritable martyr. La création audiovisuelle devient également un instrument de création identitaire.» Mérah et sa caméra Go Pro, Coulibaly et ses tournages entre deux attentats n’ont pas fait autre chose.

L'horreur en continu

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Dans cette période des années 1990 et 2000, l’événement se vit donc 24 heures sur 24. « Le temps ne s’arrête pas, comme l’info » scande le clip d’une chaîne en continu. Il en fut de même pour les attentas dans le monde. Une accélération impressionnante et particulièrement meurtrière au début du vingt unième siècle. Karachi, Madrid, Londres, à eux seuls les noms de ces capitales évoquent les images de destruction massive, de victimes dont on a peine à dresser le bilan, tant la confusion règne dans le fracas des explosions. L’horreur et sa force de sidération.

 Un rapport qui disait déjà beaucoup

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 Les coups étaient si durs et si retentissants que l'État français  décida de se doter d’une doctrine formelle et globale sur la sécurité intérieure face au terrorisme. Nous étions en 2005 et la rédaction de ce rapport fut confiée à François Heisbourg, spécialiste de la géopolitique. Dans les motivations d’une telle entreprise, le premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin affirme dans le préambule de ce texte que « la menace n’a jamais été aussi forte », qu’il est impératif de « mieux connaître le fonctionnement des groupes terroristes, des prédicateurs aux filières qui envoient des jeunes vers les camps d’entrainement », enfin que nos meilleures armes, « ce sont nos valeurs démocratiques ». C’était il y a tout juste dix ans, les mêmes mots ont été prononcés il y a quelques jours! Sans oublier bien sûr l’aspect communication/information de la question. Sur ce point là encore, on se croirait dans la période actuelle, voici ce que l'on peut lire: "L’objectif du Livre blanc est...de définir une stratégie de riposte et de lutte adaptée à la menace. Cette stratégie doit prendre en compte les nouveaux outils technologiques et les moyens de communication modernes utilisés par les groupes terroristes »

Mais alors, puisque nous avions identifié les questions posées, qu’avons nous fait ou omis de faire durant ces 10 ans ?

Publié par Hervé Brusini / Catégories : Non classé