Les Tsunamis en Guadeloupe, un risque non négligeable

     

 

Professeur Narcisse Zahibo, Université des Antilles

Laboratoire de Recherche en Géosciences et Energies (LARGE)

narcisse.zahibo@univ-antilles.fr

 

Il a fallu le giga tsunami du 26 décembre 2004 de l’océan indien, ainsi que celui du 11 mars 2011 à Tohoku, au Japon, pour que ce risque soit irréversiblement ravivé dans nos mémoires et commence à faire l’objet d’attentions particulières, dans nos régions. En causant des dizaines de milliers de morts, ces deux événements ont fait plus de victimes et de dégâts que les tremblements de terre qui les ont générés. C’est l’une des caractéristiques particulières du tsunami qui peut se définir comme la mer qui sort de son lit et se propage dans les terres à grande vitesse comme une écoulement d’une puissante rivière en impactant les ouvrages côtiers déjà fragilisés par le tremblement de terre. Les inondations induites peuvent occasionner des effondrements de digues et de ponts, de la pollution, des ruptures de canalisation, des incendies, etc. Ce phénomène peut durer plusieurs heures avant que la mer ne retrouve son lit naturel.

Le 13 juillet 2003, la commune de Deshaies a été affectée par un tsunami généré par les écoulements pyroclastiques de l’éruption du volcan "La Soufrière" de l’île voisine Montserrat, occasionnant d’importants dégâts dans son port de pêche. Une année plus tard, ce sont les îles des Saintes qui ont connu ce phénomène le 21 novembre 2004 suite au séisme dit des Saintes. Le 20 mai 2006, le port de pêche de Deshaies fut encore victime d’un tsunami suite à une nouvelle éruption de "La Soufrière" de Montserrat en y occasionnant d’importants dégâts.
Trois (3) tsunamis ont donc été enregistrés en Guadeloupe depuis le début de ce siècle. Les dégâts occasionnés ont été fort heureusement limités ! Les tsunamis ne peuvent donc pas être considérés comme des phénomènes rares ou encore moins anecdotiques dans notre archipel, et plus généralement dans la Caraïbe.

S’il existe une saison cyclonique dans les Antilles, il n’en ait pas de même pour les tsunamis. Ces derniers pouvant survenir sur nos côtes à tout instant, y compris en saison cyclonique, suite à des séismes, des éruptions volcaniques ou des glissements de terrain. Il n’est donc point incongru de parler "tsunami" dans cette période où nous sommes dans l’attente du prochain cyclone de la saison. Deux alertes valent mieux qu’une. Après avoir connu une saison cyclonique exceptionnelle en 2017 avec 3 événements majeurs de catégorie 4 et 5 (Irma, Maria et José), sommes-nous préparés à faire face au prochain gros tsunami ?

Y a-t-il déjà eu de gros tsunamis en Guadeloupe ? La réponse est OUI : en 1755, en 1843 et en 1867 ! Il est en effet important de savoir conserver la mémoire de ces événements afin d’en transmettre les enseignements pour mieux gérer les catastrophes futures par la science et la recherche en coordination avec les pouvoirs publics. Notre région présente en effet de fortes vulnérabilités face à ces risques majeurs que nous cumulons (séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, cyclones, submersions marines cycloniques, inondations pluviales, très fortes houles, etc.).

Il est à ce stade utile de rappeler que nous sommes de petits territoires insulaires marqués par de fortes disparités socio-économiques et éloignés de notre métropole distante de 7000 km. Cela repose avec pertinence, gravité et urgence la question de notre propre capacité de réponse rapide et de résilience face aux aléas extrêmes et nous interpelle sur les défis et les enjeux auxquels nous devons faire face. Une grande partie de la population dans les Antilles Françaises habite en zone littorale basse qui accueille également de milliers de touristes chaque saison. D’autre part, ces zones littorales continuent de faire l’objet d’importants investissements économiques et abritent également des sites stratégiques vitaux (centrales électriques, raffineries, zones portuaires, etc.). Ce qui pose la question des enjeux de protection des populations, de développement durable et de régulation des espaces urbanisés en zones de danger afin de réduire le coût des catastrophes.

Afin de faire face à ces multiples enjeux, les pouvoirs publics et privés, à travers des programmes de recherche européens (FEDER, INTERREG, H2020), nationaux (ANR, MOM, Collectivités) et privés (Fondations, Industriels) soutiennent depuis plusieurs années et continuent de soutenir la production scientifique sur la thématique des risques naturels dans les Antilles Françaises. L’université des Antilles y prend activement sa part en proposant, à travers des conventions de recherche des solutions opérationnelles de renforcement et d’adaptation de nos communes face aux risques majeurs de submersion marine aujourd’hui potentiellement aggravés par les effets du changement climatique. En témoignent ces récents projets qui y sont en cours d’exécution.
- Projet FEDER C3AF 2016-2019 : Conséquences du Changement Climatique sur les Antilles Françaises
- Projet ANR Ouragan 2017 TIREX 2018-2021 : Analyse des impacts des ouragans et renforcement du suivi de la reconstruction territoriale
- Projet H2020 SOCLIMPACT 2018-2021 : Projet inter RUP, étude des impacts économiques du changement climatique sur l’économie bleue
- Projet H2020 FORWARD 2019-2021 : Projet inter RUP, améliorer l'excellence de la recherche dans les régions ultrapériphériques de l'UE et favoriser leur participation aux
programmes européens.
- Etc.

En 2014, le projet TSUNAHOULE (contraction de tsunami et de houle) soutenu par le
programme INTERREG IV Caraïbe (financement FEDER et Région Guadeloupe) a produit une vaste évaluation des aléas tsunami et surcote cyclonique en Guadeloupe et en Martinique par la modélisation numérique. L’étude a réalisé à partir des archives locales et des bibliothèques nationales une base de données des tsunamis dans nos régions depuis le 17ième siècle. En produisant une cartographie des zones inondables à l’échelle de l’archipel de la Guadeloupe pour des scénarios extrêmes, elle a ainsi pu proposer des cartes de gestion des risques de submersion à six (6) communes pilotes du projet (Gosier, Saint-François, Baie-Mahault, Fort-de-France, Schoelcher, Anses d’Arlet). Ces communes ont ainsi pu enrichir leur plan communal de sauvegarde (PCS) par des données de submersion marine cyclonique et tsunami. La commune du Gosier est allée plus loin dans l’exploitation de ces données TSUNAHOULE en réalisant son DICRIM (document d’information communal sur risques majeurs), en collaboration avec le bureau d’étude "PREDICT Services" de Montpellier. Les livrables de cette étude demeurent toujours disponibles en partage avec les collectivités, les bureaux d’étude et les organismes qui le souhaitent.

Le prochain gros tsunami est une affaire de "Quand" et non de "Si" !

Sommes-nous aujourd’hui préparés au retour d’un scénario tsunami catastrophique ? D’autant que plus de 150 ans après le dernier gros évènement, nous nous trouvons dans cette fameuse période dite de retour.
Le 1er novembre 1755, d’après les archives nationales, des vagues de tsunami provoquées par un séisme à Lisbonne au Portugal ont atteint les côtes de la commune de Sainte-Anne en Guadeloupe en moins de 08 heures et ont pénétré dans le bourg sur près de 300 mètres.

Quand on rejoue le tsunami de 1843 qui a été induit par un puissant séisme de magnitude 8.5, de surcroit en champ proche (proche du Moule), des vagues de près de 7 mètres submergent les côtes de Saint-François et de la Désirade en moins de 30 minutes. Impossible dans ce cas de déclencher une alerte au tsunami.

Quant au tsunami du 18 novembre 1867 induit par un séisme de magnitude 7.5 dans les îles Vierges britanniques (Grandes Antilles), il a atteint nos côtes avec des hauteurs de vagues extrêmes en 45 minutes. A Deshaies la population s’est réfugiée dans l’église (déjà construite en 1867) située à 10 mètres de hauteur. Un habitant de Sainte-Rose, Monsieur Gibault, dans un témoignage publié par « Le Commercial de la Guadeloupe » (ancêtre du France-Antilles) le mercredi 22 novembre 1867, décrit une vague de 60 pieds (18 mètres) qu’il voit arriver et qui s’abat sur le littoral, submergeant le cimetière et toutes les habitations s’y trouvant.

Les archives historiques ne permettent pas de quantifier l’ampleur des dégâts matériels et humains dus à ces tsunamis catastrophiques mais mentionnent bien des témoignages attestant de leur réalité en Guadeloupe. De puissants séismes de magnitudes supérieures à 8 comme dans l’océan indien ou dans le pacifique sont répertoriés dans les bases de données historiques des Antilles Françaises (1839 et 1843). Qu’en serait-il aujourd’hui avec notre niveau d’exposition et de fragilité dus à la densité de population côtière et aux importants investissements économiques réalisés en zones littorales avec le retour d’un tsunami de grande ampleur ?

Comment renforcer notre résilience face aux tsunamis ?

Un système d’alerte aux tsunamis n’est utile que pour des tsunamis distants (dont la source est située à plus de 1000 km) pour lesquels le temps d’arrivée de la vague laisse le temps aux autorités d’alerter et d’évacuer les populations. Il est totalement inopérant pour des tsunamis en champ proche comme dans le scénario 1843 où les vagues atteignent nos côtes en moins de 30 minutes. Dans ce dernier cas, l’atténuation du risque passe exclusivement par deux clés d’action : la prévention et l’éducation.

La science et la recherche contribuent à la prévention en évaluant les emprises d’inondation potentielle sur le littoral, les enjeux humains, économiques et environnementaux.

En termes de mesures de prévention, il est important de distinguer celles qui relèvent des autorités de celles qui relèvent du citoyen sur le plan individuel.

Au niveau des autorités, il faut prévoir un plan d’action tsunami avec : des ressources pour maintenir la sécurité, des réserves d’eau potable, des générateurs de courant pour maintenir les conditions d’hygiène, des abris d’évacuation, de la distribution d’aliments, etc. Il appartient aux autorités communales d’informer leur population sur les abris d’évacuation qui existent dans leur commune. D’autre part, cette prévention passe
également par la préservation des espaces naturels tels les mangroves capables d’atténuer les impacts des vagues et des projectiles. En effet les tsunamis charrient de nombreux objets qui s’avèrent plus dangereux que l’eau elle-même. L’aménagement judicieux du littoral évitera d’implanter les écoles, les hôpitaux, les services de sécurité et de protection de l’état en dehors des zones inondables identifiées.

Au plan individuel, les citoyens et les familles doivent apprendre à savoir vivre avec ce risque en ayant en permanence chez soi du matériel de survie afin d’être autonome durant 72 heures avant l’arrivée des premiers secours : de l’eau, de la nourriture, les médicaments habituels, une trousse de santé de premiers secours, une radio, des piles, des k-ways, des bougies et même de la nourriture pour les animaux. Tout ceci entreposé dans un endroit connu de tous à la maison. C’est exactement le même kit de survie recommandé en période cyclonique. Sauf qu’il faut qu’il soit prêt toute l’année et non uniquement en période cyclonique.

L’éducation dans les écoles ainsi que du grand public est très importante voire
déterminante quant à la connaissance du danger et des signes annonciateurs d’un tsunami.
Savoir s’évacuer rapidement du littoral doit être une question de réflexes à avoir car le tsunami même sur le littoral se déplace très vite. Ainsi trois alertes sensorielles naturelles permettre de reconnaître un tsunami : le ressenti du séisme, la montée ou la descente rapide de la mer ainsi qu’un grondement sourd de la mer sont des signes qu’il faut arriver à associer à une probable sortie brusque de la mer de son lit. Il est donc important de savoir comment s’évacuer d’un lieu, sachant que nos plages ne sont pas (encore) équipées de panneaux d’information indiquant les voies d’évacuation.

Si vous êtes à la rivière et que vous ressentez un séisme, il faut également l’associer à un probable tsunami capable de remonter le courant par l’embouchure et provoquer une inondation brusque. Il faut donc s’en écarter immédiatement.

Afin de répondre à la demande des pouvoirs publics dans les Antilles Françaises pour assurer la sécurité des personnes exposées aux risques de tsunami, le projet EXPLOIT (financement Fondation de France, université de Montpellier et université des Antilles) porté par le laboratoire GRED (université Paul Valéry de Montpellier) et l’IRD en collaboration avec le laboratoire CRPLC (université des Antilles) et l’État-Major Interministériel de la Zone de défense et sécurité Antilles (EMIZA), viennent de développer une méthode de planification des évacuations en cas d’alerte tsunami en tenant compte de la banque de scénarios tsunamis réalisée dans le projet INTERREG TSUNAHOULE du laboratoire LARGE. Les documents généraux et communaux sont en accès libre sur le site internet du projet : https://exploit.univ-montp3.fr/

L’aléa tsunami est avéré en Guadeloupe et doit faire partie de notre culture du risque. La recherche est une des voies permettant de développer des outils pouvant aider à réduire la vulnérabilité et aider les pouvoirs publics à améliorer les réponses de nos territoires face à ce type de catastrophes.

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