L'ambivalente photographie de "Ida" : lumière divine, cadrage infernal

Certains parlent d'un film d'une beauté "à couper le souffle", d'autres de "petit machin scolaire et compassé". Qui croire ? Ida, de Pawel Pawlikowski, sorti le mois dernier, raconte l'histoire d'une jeune Polonaise des années 1960 qui, sur le point de se faire nonne, découvre grâce à sa tante que ses parents étaient juifs. Plus que l'histoire, c'est l'esthétique léchée qui attire au premier abord : image 4/3 (comme chez Bergman et les films muets), noir et blanc impeccable, cadrages audacieux.

Avec son souci esthétique et son thème métaphysique, j'étais prête à aimer Ida à 200%. Mais la bande-annonce, agrémentée d'une délicieuse musique mozartienne, ne tient pas ses promesses. Ou plutôt, elle les tient trop : trop de mystère, trop de recherche, trop de perfection. On se trouve devant ce film comme dans un lit au carré de militaire, alors qu'on préfèrerait un nid plus douillet et foutraque.

La photographie du film est en grande partie responsable de cette désaffection. Ce n'est pas la seule explication, puisque les errements du scénario, qui refuse de répondre aux questions existentielles qu'il pose (la foi monothéiste permet-elle d'adorer deux Dieux de religions différentes ? etc), sont également gênants. Mais c'est elle qui heurte le regard et qui nous laisse sur le perron de l'histoire. Si la lumière est divinement belle, le cadrage de dizaines de plans s'avère infernal. Pawel Pawlikowski use jusqu'à la corde de décadrages, qui placent ses personnages au bas de l'écran, accablés par le décor au-dessus d'eux.

IMG_6459 © Sylwester Kaźmierczak

IMG_5109 © Sylwester Kaźmierczak

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Ou parfois, le décor se fait la malle en-dessous ou sur le côté.

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La redondance de ces cadrages comporte deux inconvénients. Le premier est physique : au bout d'un moment, notre œil fatigue à force de chercher le bout de chair qui se cache dans l'immensité du plan. J'ai constaté, à partir du milieu du film, que je ne m'intéressais plus qu'à la partie basse de l'écran, laissant carrément tomber le reste de l'image. Le second point est plus symbolique. A force de rabâcher ce procédé, le cinéaste donne le sentiment d'avoir trouvé "un truc", un système de mise en scène qui s'applique à n'importe quelle séquence, en dépit de la narration. D'autant que la forme s'associe trop logiquement avec le fond : pour signaler la perdition d'un individu, il ne suffit pas de le noyer dans un espace trop grand pour lui ! C'est là que l'indigence de l'écriture revient. On ne sait que trop bien comment Ida est perdue, on aimerait mieux comprendre pourquoi.

"Je n'ai pas intellectualisé cette démarche"

Dans une interview à Télérama, Pawel Pawlikowski se défend de tout maniérisme. Voici ce qu'il dit de la lumière : "Beaucoup de gens me disent que le film est beau et même trop beau. Mais je n’ai pas recherché cela ! Avec mon chef opérateur, on a même évité de construire des lumières trop sophistiquées. On voulait simplement quelque chose de juste, et ensuite tourner la scène en un plan, le plus souvent, sans avoir à bouger la caméra dans le décor, sans laisser accepter la lourdeur d’un tournage traditionnel. La lumière était simple, le plan était simple, et ça a donné des moments comme celui-là."

Et du cadrage des plans : "Ce genre de cadrage, c’est le résultat du format carré de l’image et du choix de faire des plans fixes. Pour les plans larges, ce n’était pas facile de trouver comment placer les comédiens dans le cadre, l’espace flottait autour d’eux. Alors, j'ai essayé de mettre de l'espace au-dessus, en haut. J’ai donné de l’air. C'était plus cosmique, plus bizarre, ça m'a plu. Sans intellectualiser cette démarche. C’était simplement touchant de voir des personnages perdus dans l'espace du cadre."

Finalement, le problème serait-il l'absence d'intellectualisation, plutôt que la "sur-intellectualisation" ? D'avoir trouvé cette idée, Pawel Pawlikowski semble émerveillé. Sauf qu'il aurait dû se limiter à quelques plans décadrés, de-ci de-là, pour faire respirer son film et lui donner plus d'ampleur. "Ida, c'est la Pologne de mes rêves, c'est beau, c'est la nostalgie", dit-il encore. Cette nostalgie qu'il éprouve pour son pays d'origine (Pawlikowski a longtemps vécu en Grande-Bretagne) ressemble surtout à celle d'un réalisateur nostalgique d'un cinéma à l'ancienne, qu'il tente de reproduire avec le zèle d'un collectionneur d'objets vintage. Mais les années ont passé et le charme n'opère plus.

Crédits photo : Memento Films.

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu